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ils ne jouiront même pas du bonheur d’être Russes ; ils échangeront un Habsbourg contre un Hohenzollern, et un Hohenzollern est tout autrement passé maître dans l’art de germaniser les pays slaves ! Ne sont-ce point les journaux de Prague eux-mêmes qui ont tout dernièrement relevé le mot attribué au prince Gortchakov ? « Ces pauvres Tchèques, aurait dit le chancelier, ils travaillent pour le roi de Prusse !… » Il est vrai que les journaux de Prague se tranquillisent par la réflexion que « le prince Gortchakov n’est pas le peuple russe ! » il est plus vrai encore que, le cas échéant, ils pourront se consoler du moins par la pensée qu’ils n’ont pas été les seuls par le monde et de nos jours à avoir travaillé de la sorte…

Nous l’avons prononcé, le mot fatal du démembrement de l’Autriche, et il faut bien se résoudre à envisager cette éventualité poignante, car c’est là que tend la propagande panslaviste, c’est là le danger immense dont l’Europe est maintenant menacée. L’Europe du XIXe siècle a vécu jusqu’ici sous l’oppression de l’inconnu terrible qu’on appelait la question d’Orient. Eh bien ! elle a maintenant deux questions d’Orient au lieu d’une elle doit désormais préserver l’Autriche aussi bien que la Turquie d’un démembrement inique ; qui sait même si la Turquie ne présente point à l’heure qu’il est plus de conditions de durée que le vieil empire des Habsbourg ? La Porte-Ottomane n’a devant elle que l’ennemi russe, et ses populations slaves (nous ne parlons pas de la Serbie, complètement émancipée aujourd’hui) sont loin d’être remuantes et entreprenantes ; le cabinet de Saint-Pétersbourg pourra exciter sur quelques points les Bulgares et les Bosniaques, mais il n’en fera jamais des agens aussi actifs, aussi corrosifs que les Tchèques. Quelque médiocre que soit d’ailleurs notre estime pour l’Osmanli, tous ceux qui ont visité la péninsule, reconnaissent pourtant qu’il y est le seul doué du génie gouvernemental, qu’il a l’instinct du commandement et qu’il sait imposer aux raïas soumis à son pouvoir. Enfin le padischah a en Europe près de deux millions et en Asie plus de dix millions de croyans fidèles qui lui portent un culte fanatique et qui, à son signe, savent combattre et mourir. La comparaison, sous tous ces points de vue, ne tourne guère à l’avantage de l’Autriche. Elle se trouve en face de la Russie et de la Prusse en même temps ; les populations désaffectionnées qu’elle renferme, les populations slaves, sont plus avancées, plus résolues, plus enflammées que les raïas de la Turquie, et que dire de ses sujets allemands, dont les sympathies pour l’œuvre de M, de Bismark deviennent de jour en jour plus manifestes ! Parmi les diverses races établies sur le sol de l’Autriche, il n’y en a pas une d’incontestablement supérieure et qui seule puisse s’imposer à toutes les autres, leur inspirer le respect et l’obéissance,