Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apparences. Le peuple était écrasé d’impôts et humilié d’obéir à un aventurier. Le parti religieux avait en horreur les pompes et les habitudes étrangères que cet « Iduméen » voulait impatroniser en terre sainte. Il y eut des complots pour le tuer en plein spectacle, et ils ne furent déjoués que par la vigilance de sa police secrète, qu’il payait très cher. Naturellement soupçonneux, il avait trop hanté les grands corrompus de son époque et devait trop lui-même à la trahison pour croire aisément à la bonne foi des autres, ce qui ne l’empêcha pas d’imposer à tous les Juifs un serment de fidélité dont il n’exempta que quelques pharisiens zélés et les esséniens, qu’il aimait beaucoup à cause de leur humeur ultra-pacifique. L’imbécile Hyrkan, qu’il avait fait revenir de Babylone, fut accusé, au moment où il y pensait le moins, de conspirer contre lui, et malgré ses quatre-vingts ans et ses bienfaits passés se vit condamner à mort par le sanhédrin, qui eut la lâcheté de consentir au supplice du dernier des Asmonéens. Une sorte de Némésis poursuivit depuis lors Hérode au sein de sa propre famille. Il était très amoureux de sa belle Marianne, amoureux avec frénésie. Quand, incertain du sort qui l’attendait, il se rendit auprès d’Antoine pour se justifier du meurtre d’Aristobule, il la confia à son beau-frère Joseph avec ordre de la tuer, si lui-même ne revenait pas. Il ne pouvait supporter l’idée qu’un autre la possédât après lui. Joseph eut l’imprudence de faire part de ce secret à Marianne. Hérode, à son retour, sut que Joseph avait parlé, et dans un accès de fureur le fit décapiter. Il fut sur le point d’infliger le même supplice à Marianne, mais l’amour fut cette fois plus fort que la colère. Le soupçon pourtant que Marianne le craignait sans l’aimer le torturait sans cesse. Quand il dut ensuite aller plaider sa cause devant Octave, il la fit enfermer de nouveau sous la garde d’une de ses créatures, qui reçut également l’ordre de la faire périr dès que l’on apprendrait la nouvelle de sa mort à lui-même. Marianne le sut encore, et au retour d’Hérode elle lui déclara sans réticence toute l’horreur qu’il lui inspirait. Salomé, sœur d’Hérode, jalouse de la belle Asmonéenne, exaspéra la fureur de son frère en lui insinuant que Marianne l’avait trahi pendant son absence et cherchait à l’empoisonner. Transporté de rage, Hérode fit juger et condamner Marianne par un tribunal spécial. L’infortunée se souvint qu’elle était d’une race de martyrs et marcha à la mort avec un courage héroïque. Fou de douleur, torturé de remords, Hérode tomba malade et fit exécuter les juges. Le peuple resta muet d’horreur, et c’est ainsi qu’en plus d’une occasion le caractère soupçonneux et cruel d’Hérode, en le poussant à des mesures sanguinaires, détruisit tout ce que ses avances au sentiment religieux et national avaient pu lui valoir auprès de ses sujets.