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si ces cheveux eussent été moins beaux, si la tête qu’ils couronnaient eût moins charmeuses regards, peut-être les eût-il déjà impitoyablement condamnés.

Bon nombre de gens se figurent qu’un médecin est à l’abri de ces surprises du cœur, — que la sensibilité s’épuise et s’use au contact perpétuel des misères humaines, — que toute passion a besoin de prestige et s’éteint devant la réalité. Tout cela peut être vrai pour certaines natures, et encore sous réserve de telles ou telles circonstances qui jettent l’homme hors de sa voie et le transportent ébloui dans des régions où jamais il n’avait songé à pénétrer. Nous avons vu en effet ce que pensait Wilmot des « infatuations » de l’amour. Nous l’avons entendu railler agréablement chez sir Saville le souvenir de son premier penchant, nous savons quel minime lot de tendresse il accordait au régime conjugal ; mais il faut tenir compte de tout ce qui avait pu modifier en quelques jours cet esprit jusque-là sobre, positif et bien équilibré, des mille influences diverses auxquelles, sans pouvoir s’en douter, il avait été soumis. Un voyage rapide parmi des sites admirables avait en quelque sorte inauguré pour lui ces enchantemens nouveaux ; puis, le cœur rehaussé par cette communion avec la nature, il était entre presque triomphalement, accueilli comme l’Espérance elle-même, dans une demeure princière. Toutes les portes s’ouvrant sous sa main lui avaient livré l’accès d’une sorte de sanctuaire où lui était soudainement apparue, avec la double auréole de la souffrance résignée et de la piété enthousiaste, une des plus ravissantes créatures qu’il lui eût jamais été donné de contempler. Après un premier moment d’embarras, un regard de lui, un regard chargé de pitié, la lui avait pour ainsi dire livrée. Soit pressentiment, soit naturelle confiance et facile abandon, elle s’était dit : — Voilà mon sauveur ! et ce qu’elle se disait tout bas, elle le lui avait répété lorsque pour la première fois il avait osé lui tendre la main. — N’est-ce pas, docteur, vous me ferez vivre ? — Et ses yeux étaient si humblement supplians, et sa voix était si faible ! À cette confiance qui le touchait si profondément, à cette docilité absolue avec laquelle ses moindres ordres étaient strictement et joyeusement obéis, un charme irrésistible était attaché. Il y cédait sans vouloir s’en rendre compte, sans pouvoir se convaincre du péril, n’accordant à certaines de ses pensées que l’importance fascinatrice de ces rêves auxquels il est parfois si doux de se laisser aller, sans y croire et sans leur donner la moindre place dans les possibilités d’un avenir quelconque. On les caresse tout bas, on en berce son imagination, et on en sort, même des plus brillans, sans leur accorder un regret.

L’heure du réveil était-elle donc sonnée ? Le télégramme de