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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/376

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— Vous a-t-elle dit que le poumon gauche n’est pas tout à fait intact ?

— Hélas ! je le craignais… Je me doutais bien que le point faible devait être là…

— Serait-ce par hasard une disposition héréditaire ?…

— Un de ses frères a péri victime d’une consomption aiguë.

— A cet égard, nous n’avons rien à craindre pour le moment… Des soins bien entendus, une hygiène appropriée aux circonstances, ajourneront, éloigneront tout danger… Il faudrait surtout changer de climat. Ici les journées deviennent humides… Le matin, le soir, l’air est trop vif.

— Un voyage à Londres suffirait-il ?

— Londres dans tous les cas est préférable à Kilsyth… Et à présent, mon cher hôte, laissez-moi m’évader aujourd’hui même, sans tambour ni trompette… J’ai horreur des adieux et de l’émotion qu’ils éveillent… Au revoir sur les dalles de Pall-Mall… Vous vous chargerez, n’est-ce pas, de mes remercîmens à lad y Muriel pour sa bonne hospitalité ?… Vous voudrez bien dire à miss Kilsyth… Non, au fait, nous devons nous retrouver à Londres…

Une demi-heure après, Chudleigh Wilmot avait quitté le château, pendant que la plupart des résidens étaient en chasse ou à la promenade. Il prit tout exprès un chemin sur lequel ne donnaient point les fenêtres de la salle où le luncheon avait réuni les hôtes les plus sédentaires. Celui qu’il avait choisi passait au contraire sous certaines croisées, vers lesquelles il leva les yeux en passant. Derrière l’une d’elles était un visage pâle, comme entouré d’un nimbe d’or, et sur lequel à sa vue se peignit une pénible surprise. Comme il soulevait son chapeau, il vit la blanche figure se retirer et disparaître, sans lui répondre par le moindre signe. Aussi resta-t-il hanté par le regard mélancolique qu’il avait reçu en pleine poitrine.

Lady Muriel, le matin même, avait fait partir deux lettres, dont l’une adressée à Ramsay Caird, l’appelait auprès d’elle. La seconde, expédiée à Ronald Kilsyth et conçue en termes passablement ambigus, lui signalait un changement essentiel dans les dispositions de sa sœur Madeleine. Partout où elle frappait, elle frappait juste. Le jeune officier aux gardes, atteint au plus vif de ses inquiètes susceptibilités, n’allait en être que plus accessible à toutes les inspirations de sa belle-mère.

Que prétendait au juste celle-ci ? A quoi devaient mener ces démarches, obscurément rattachées l’une à l’autre ? En écrivant à Ramsay Caird, ne songeait-elle qu’aux intérêts de son protégé ? En éveillant les sollicitudes de Ronald Kilsyth, n’avait-elle en vue que