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doute, venait, à propos de la naissance du roi de Rome, de reproduire textuellement les vœux formés par Bossuet pour l’un des petits-fils de Louis XIV. Il paraît que cela n’avait pas été jugé suffisant. « Donnez-moi donc la mesure, demanda le prélat étonné. — Je ne la sais pas. — Est-ce que je devrais en dire autant que tel de mes confrères dont les flatteries déplaisent même à l’empereur par leur énormité ? — Ce serait trop, ce serait trop, répondit en riant M. Real. — Alors, monsieur, donnez-moi exactement, je vous prie, la dose de la louange, afin que je puisse toujours l’atteindre sans jamais la dépasser[1]. » Le préfet de police resta court, et ne donna point cette mesure à l’évêque de Gand.

Napoléon, supérieur par tant de côtés à tous les despotes, avait cela de commun avec eux tous, qu’il entendait ne supporter aucune critique venant de ceux dont il provoquait les éloges. L’habitude de faire lire par les curés dans les églises et quelquefois même au prône les bulletins de l’armée s’était peu à peu établie sans ordre précis de l’empereur. Le ministre des cultes, M. Portalis, et le duc d’Otrante, ministre de la police, s’étaient entendus à ce sujet, pensant se rendre ainsi agréables au maître. Napoléon d’abord n’avait eu ni objections ni scrupules ; mais plus tard, à la suite des journées quelque peu indécises qui précédèrent la victoire éclatante d’Austerlitz, il fut vivement frappé des inconvéniens qu’au point de vue politique cette mesure pouvait avoir. « Je ne trouve point convenable, écrit-il au duc d’Otrante, cette lecture des bulletins dans les églises. Elle n’est propre qu’à donner aux prêtres plus d’importance qu’ils ne doivent en avoir, car cela leur donne le droit de commenter, et quand il y aura de mauvaises nouvelles, ils ne manqueront pas de le faire… Il faut laisser tomber cela. M. Portalis a eu très tort d’écrire sa lettre sans savoir si c’était mon intention[2]. » Quelques jours après, il revient encore sur ce sujet. « ….. Je vous ai déjà fait connaître que je ne désirais pas qu’on fît sortir les prêtres de leurs fonctions et qu’on leur donnât trop d’importance civile. En général il ne faut point se fâcher ni discuter, surtout avec les prêtres, lorsque cela n’est point d’une nécessité absolue ; il faut les maintenir dans leurs limites. C’est un grand mal de leur faire sentir qu’ils ont une importance politique[3]. »

Pour son compte, et surtout depuis la guerre qu’il venait de mener à si glorieuse fin au milieu des populations très catholiques de l’Autriche et de la Bavière, l’empereur, peu désireux d’augmenter en France l’importance politique des prêtres, était en même temps très

  1. Lettre de l’abbé de Broglie, évêque de Gand, à M. le comte de Chauvelin, conseiller d’état, 11 septembre 1810.
  2. Lettre de l’empereur Napoléon Ier à M. Fouché, Schœnbrunn, 25 décembre 1805.
  3. Lettre de l’empereur à M. Fouché, Munich, 4 janvier 1806.