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Lorsqu’un homme doué d’un esprit éminent et d’un immense savoir a, par suite de la faiblesse de son caractère, je dirais presque de l’honnêteté de sa conscience, mis ces qualités d’un si haut prix au service exclusif d’un souverain supérieur lui-même par l’intelligence et dont il subit presque sans s’en douter l’incontestable influence, il devient très difficile de discerner ce qui dans l’œuvre commune doit revenir au maître de ce qui appartient en propre au serviteur. La lettre que nous venons de citer avait-elle été inspirée par une conversation antérieure de Napoléon avec son ministre des cultes, ou bien est-ce M. Portalis qui a suggéré à l’empereur l’heureuse idée « de lier religieusement la conscience de ses peuples à son auguste personne ? » On en est réduit aux conjectures. Toujours est-il que, si l’honneur de l’invention doit être rapporté à M. Portalis, Napoléon l’accueillit avec chaleur, et mit lui-même très efficacement la main à l’exécution. Le catéchisme de Bossuet, dont celui qu’ s’élaborait en ce moment était censé n’être que la reproduction, s’était contenté de consacrer deux courtes lignes à la définition des devoirs des sujets envers leur prince. Le prince lui-même, qui n’était autre alors que Louis XIV, était assez irrévérencieusement confondu avec la foule des supérieurs. « Que nous prescrit encore le quatrième commandement ? disait le catéchisme de Meaux. — Réponse. De respecter tous supérieurs, pasteurs, rois, magistrats et autres. » Voilà qui avait suffi, partant du grand roi, à celui que de son vivant La Bruyère appelait par anticipation un père de l’église, et l’histoire ne nous apprend pas que Louis XIV se soit trouvé offensé d’avoir été mis en seconde ligne après les pasteurs et seulement avant les magistrats. Sous le règne de Napoléon Ier, le chapitre relatif au quatrième commandement s’étend prodigieusement, et prend les plus singuliers développemens. En 1686, une seule et unique leçon avait suffi, dans laquelle était en même temps compris ce qui regardait les cinquième, sixième et neuvième commandemens. En 1806, comme l’obéissance aux autorités établies est devenue chose autrement importante et la pierre angulaire du nouvel édifice, les préceptes concernant ce fameux quatrième commandement n’occupent pas moins de trois leçons. Le chef de l’état se croirait abaissé, s’il acceptait comme Louis XIV une sorte de pêle-mêle avec les autres supérieurs ; il lui faut quelque chose de plus. Napoléon avait d’abord voulu que la question fût ainsi posée et résolue : « la soumission au gouvernement de la France est-elle un dogme de l’église ? » La réponse à cette question, d’après une note qu’il avait lui-même dictée, devait être conçue en ces termes : « oui, l’Écriture enseigne que celui qui résiste aux puissances résiste à l’ordre de Dieu ; oui, l’église nous impose des