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après matines. » Le vieil historien éprouve d’ailleurs une peine visible à se résigner à cette abdication. La postérité est plus juste qu’il n’a pu l’être lui-même envers les hommes qui la consentirent, et l’équité avec laquelle nous apprécions aujourd’hui l’œuvre de 1532 conduit à reconnaître qu’en renonçant dans l’intérêt de son repos à l’indépendance que lui avaient formellement réservée pour l’avenir les clauses du second contrat de mariage de la reine-duchesse, la Bretagne rendit à la France un service immense. Il est à peine nécessaire de dire quelles désastreuses conséquences aurait amenées pour la monarchie une pareille séparation accomplie tandis que Charles-Quint ou Philippe II dominait l’Europe. Qui ne pénètre le cours tout différent qu’aurait pu prendre l’histoire du monde moderne, si, par l’extinction de la postérité d’Anne de Bretagne, la France avait été exposée au péril de voir se relever dans la péninsule bretonne une souveraineté placée dans les conditions de vassalité où s’était trouvé le duc François II vis-à-vis de Louis XI, et si les rois de la maison de Bourbon, au lieu de s’avancer vers les Pyrénées et vers le Rhin, avaient dû recommencer sur les bords de la Loire l’œuvre des princes de la maison de Valois ?

Personne n’ignorait ceci au XVIe siècle. De là l’effroi général qui saisit tous les corps de l’état lorsque sous Louis XII on put craindre un moment de voir Charles de Luxembourg obtenir au préjudice du duc d’Angoulême la main de la princesse Claude, qu’Anne de Bretagne, sa mère, entendait assurer au jeune prince qui fut plus tard Charles-Quint. François Ier et le chancelier Duprat purent présenter à bon droit l’acte d’union comme leur plus grande œuvre politique. Cet acte est la principale chose qui soit restée de ce long règne théâtral ; mais ce qui était évident pour tous les contemporains au XVIe siècle avait cessé de l’être pour l’âge suivant. Lorsque la royauté eut absorbé en elle tous les droits, ses serviteurs malavisés voulurent effacer un souvenir qui impliquait l’existence d’un titre antérieur au sien. Une meute d’historiens et de pamphlétaires, en tête de laquelle on regrette d’avoir à placer l’abbé de Vertot, fut gagée pour lacérer l’histoire de Bretagne de manière à restituer le bénéfice du passé à ce pouvoir sans bornes auquel allait bientôt manquer l’avenir.

Attaquée chaque jour dans ses institutions par les lettres de cachet et les arrêts du conseil, la Bretagne eut à défendre ses annales contre les plus insolentes entreprises de l’érudition salariée. Ses premiers rois furent transformés en lieutenans de Clovis, ses ducs cessèrent d’être des ennemis pour devenir des rebelles en insurrection contre leur souverain légitime. Le contrat d’union consenti par la province avec la plus entière liberté fut présenté comme