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car l’ambition leur manque comme la fortune ; ils vivent sur leurs domaines à peu près sans argent, des produits d’ailleurs abondans de leur manse seigneuriale ; ils n’aspirent pas à d’autres plaisirs que ceux de la chasse aux loups et des joutes militaires du papegault arrosées par des libations copieuses. Ils ne savent à peu près rien des intérêts qui divisent les grandes factions de cour sous les fils de Henri II ; ils demeurent indifférens aux sanglans débats engagés à Paris entre les princes et les chefs de la féodalité seigneuriale, lors même que ceux-ci commencent à prendre leur point d’appui sur les partis religieux. C’est qu’à vrai dire rien de tout cela ne les touche tant que la foi catholique ne paraît point directement menacée. Patriotes résignés, ils acceptent la réunion, mais sans songer à en profiter pour eux-mêmes, justifiant par leur attitude ce qu’écrivait en 1537 une spirituelle princesse qui visitait alors en Bretagne le vicomte de Rohan, son beau-frère : « dans ce pays-ci, en se montrant trop bon Français, on risque beaucoup de passer pour un mauvais Breton[1]. »

La racine de cette nationalité si vivace, c’est la foi catholique. Portée par des apôtres venus des îles de Bretagne et d’Hibernie dans la péninsule armoricaine antérieurement aux grandes migrations, elle fit passer ce peuple de la main des druides sous celle des prêtres chrétiens sans qu’il eût à traverser le paganisme corrupteur de l’ère impériale. Dans la croyance qui l’enfantait à une vie nouvelle se concentraient pour cette race à l’imagination rêveuse et tendre toutes ses aspirations des deux côtés de la tombe. Maintenir intacte la puissance de l’église qui gardait le dépôt de sa foi, telle fut sa première pensée lorsqu’elle associa son sort à celui de la monarchie française. Vouant à la cour de Rome une soumission sans bornes, la Bretagne demeura pays d’obédience après le concordat de François Ier, et ce prince dut se résigner à n’en pas appliquer les dispositions dans cette province, même après l’avoir réunie à la couronne. A partir du XIVe siècle, l’église bretonne avait réclamé des papes une protection plus spéciale dans l’espérance de résister avec leur concours à l’influence du grand état voisin qui menaçait déjà l’indépendance de son pays. Les ducs n’admirent jamais les principes de la pragmatique, et les rois, après la réunion, durent accepter pour cette province un droit canonique différent de celui qui prévalait dans les autres parties de leurs domaines. Les constitutions apostoliques continuèrent d’être reçues de droit en Bretagne, il en fut ainsi de toutes les censures pontificales ; les causes spirituelles et bénéficiales ne cessèrent pas de ressortir à la cour de

  1. Lettres de la princesse Marguerite de Navarre, édit. de 1845, p. 164.