Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rome, et celle-ci conserva le privilège considérable de nommer à tous les bénéfices qui venaient à vaquer durant huit mois de l’année[1]. La Bretagne resta donc étrangère à l’église gallicane, et les perspectives nouvelles qui s’ouvrirent à cette époque pour les autres parties de l’Europe demeurèrent fermées pour elle.

Provoquée par des abus peu sensibles en cette contrée et par une disposition d’esprit qui ne s’y révélait pas encore, la réforme en Bretagne n’eut d’action et ne fit de progrès que dans une certaine sphère. Il n’en reste pas moins acquis à l’histoire que sans avoir eu chance un instant d’y faire un nombre de prosélytes bien considérable, le protestantisme y eut l’étrange effet de provoquer après la mort de Henri III une lutte terrible. La Bretagne dut défendre ses croyances contre les plus redoutables adversaires, car les chefs de toutes les grandes familles féodales, auxquelles ce pays avait depuis plusieurs siècles remis le soin de ses destinées, appartenaient au parti réformé. Les maisons de Rohan, de Rieux, de Laval et celle de la Trémouille, qui hérita de la dernière, avaient embrassé les opinions nouvelles, et consacraient tous leurs efforts à les étendre dans leurs vastes domaines ; mais les riches barons, qui avaient pu, sous Charles VIII, introduire les armées françaises au cœur de leur pays, ne parvinrent pas à étendre le protestantisme en dehors du cercle intime de leur maison. On peut suivre cette lutte d’un peuple contre ses chefs naturels dans le tableau non suspect qui nous en a été tracé sur des documens contemporains. Philippe Le Noir, sieur de Crevain, qui exerça le ministère pastoral en Bretagne jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, a rédigé, d’après des manuscrits laissés par son aïeul, une histoire des églises protestantes de ce pays depuis l’année 1557 jusqu’au milieu du règne de Henri IV[2]. Crevain n’est ni un écrivain brillant ni un esprit élevé ; il a des accès de crédulité qui siéraient mieux à un moine du XIIe siècle qu’à un ministre calviniste. On dirait que le protestantisme de ce pasteur breton sent le terroir ; mais après tout Crevain est modéré en même temps que convaincu. Il n’est donc pas de témoin en mesure de susciter moins d’ombrage, et qui apporte de meilleurs titres pour être cru.

Son récit, dénué de talent sans l’être d’originalité, s’ouvre par la mission évangélique que poursuivit en Bretagne Dandelot, « tout récemment sorti de sa prison de Milan, où il s’était durant cinq ans

  1. Ogée, Dictionnaire de Bretagne, introduction, p. 176. — Histoire de dom Taillandier, p. 262. — Actes de Bretagne, t. III, col. 1065, 1080, 1089.
  2. Histoire ecclésiastique de Bretagne depuis la réformation, par Philippe Le Noir sieur de Crevain, manuscrit de la bibliothèque de Rennes, publiée par B, Vaurigaud, pasteur de l’église réformée de Nantes, in-8o ; Paris, Grassart, 1851.