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cœur, mais rempli de toutes les passions de son temps, le successeur du duc d’Estampes aurait voulu faire partager ses ardeurs à la Bretagne, chose facile s’il n’avait eu affaire qu’aux masses, mais à peu près impossible par l’obligation rigoureuse pour lui de marcher d’accord avec les états et les grandes corporations municipales, résolument opposées à toute ingérence dans les affaires de la monarchie et de la cour.

Lorsqu’une arquebusade eut enlevé cet héroïque soldat au siège de Saint-Jean-d’Angély, Charles IX le remplaça par le duc de Montpensier, afin d’accomplir l’engagement pris, selon quelques historiens, par le roi François Ier d’attribuer toujours à un prince le gouvernement de la Bretagne. Le chef d’une branche de la maison de Bourbon se trouvait forcément engagé dans les luttes d’ambition dont les peuples payaient les frais et dont la religion voilait la cynique impudence. Sans être enclin par tempérament à la violence, le duc de Montpensier était par calcul capable d’accomplir les actes les plus révoltans. La lettre écrite au lendemain de la Saint-Barthélémy, qui reste attachée à sa mémoire comme une flétrissure immortelle[1], ne permet pas de douter que ce gouverneur n’eût tenté de renouveler à Nantes les massacres accomplis à Paris, s’il se fût alors trouvé dans sa province. Quel aurait été l’effet d’une pareille tentative ? L’attitude modérée, quoique nullement sympathique qu’avait conservée la bourgeoisie nantaise vis-à-vis des protestans en butte aux insultes du peuple laisse croire que ces odieuses provocations n’auraient pas rencontré d’instrumens, lors même que le gouverneur les aurait appuyées de sa présence. Ni Guillaume Harrouys, ni ses dignes échevins, ni les chefs de la garde civique qui, dans la séance du 3 septembre 1572, accueillirent par un magnifique silence l’invitation au meurtre adressée à la mairie de Nantes par la lettre du gouverneur, ne seraient demeurés spectateurs impassibles d’un pareil attentat contre une minorité protégée par sa manifeste impuissance, et l’on peut croire que le gouverneur n’aurait entraîné personne. Le dernier des préfets rencontre aujourd’hui, pour faire exécuter ses ordres, mille fois plus de facilité que n’en pouvait trouver pour gouverner la Bretagne en 1572 le duc de Montpensier.

En observant dans leur mécanisme très compliqué les institutions du XVIe siècle, on est frappé des facilités qu’elles présentaient pour résister au pouvoir, et des faibles moyens dont celui-ci disposait alors pour faire exécuter ses ordres. Sur tous les points du

  1. Lettre du duc de Bourbon-Montpensier à Guillaume d’Harrouys, sieur de la Seilleraye, en date de Paris, 26 août 1572. (Registres de la ville, 8 septembre 1572, fol. 5.) La Commune et la Milice de Nantes, par Mellinet, t. III, p. 255. Voyez aussi l’Histoire de Nantes par l’abbé Travers, t. II, p. 441.