Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défini que les limites entre l’autorité municipale et le pouvoir du commandant de place. Tantôt l’autorité militaire voulait augmenter l’effectif de la garnison, tandis que les représentans de la cité s’y opposaient, tantôt ceux-ci réclamaient à titre de propriété municipale les munitions et les armes, tantôt ils se plaignaient des soldats de la garnison et prétendaient les soumettre à leur juridiction, constamment déclinée par l’autorité militaire. Ces débats opiniâtres se terminaient devant le parlement ou devant l’assemblée des états, seule en mesure de régler par son intervention décisive les difficultés financières.

Fréquemment exposée sous Charles IX et sous Henri III aux excursions des armées protestantes rassemblées sur les marches du Poitou, la ville de Nantes obsède M. de Bouillé de ses protestations et de ses plaintes, et va plus d’une fois jusqu’à menacer de s’armer pour sa propre défense. Les magistrats populaires perdent d’ailleurs tout sang-froid sitôt qu’un conflit s’engage entre la ville et le lieutenant du château. Le capitaine René de Sanzay, qui fit passer de si mauvaises nuits aux Nantais, était une figure des plus originales. Avec des qualités qui appartenaient en propre à son temps, il avait des dispositions qui lui auraient ménagé dans le nôtre une fortune éclatante. Rude et brave comme un officier d’aventure, ce vieux soldat de bonne maison, formé dans les guerres de Flandre, était l’homme de l’obéissance passive ; il en avait le culte, pour ne pas dire le fanatisme. Vrai colonel de gendarmerie, il s’inclinait devant le sabre de M. de Bouillé, comme il exigeait que tout Nantais s’inclinât devant le sien. Dans le canton d’Uri, il aurait fait saluer son bonnet ; mais les bourgeois de Nantes s’y prêtaient peu, et chaque jour M. de Sanzay recevait du bureau de la ville les plus sanglantes admonestations[1]. La mairie n’hésitait pas au besoin, lorsque le gouverneur tardait trop à blâmer son subordonné, à députer elle-même en cour, et les députés rapportaient à Sanzay de la part du roi l’ordre de respecter à l’avenir les privilèges de ses chers et amés sujets, bourgeois et manans de la bonne ville de Nantes[2]. Les choses allèrent plus loin. Comme il était à cette époque moins facile qu’aujourd’hui de se débarrasser d’un fonctionnaire compromettant, le gouverneur dut concéder aux bourgeois le droit étrange de monter la garde dans le château concurremment avec la garnison placée sous les ordres du lieutenant,

  1. Extrait des registres de la ville, 5 mai 1574, 3 janvier 1575, 29 mars, 27 avril 1575, etc. — Travers, Histoire de Nantes, t. II, p. 447 à 465.
  2. Voyez, entre plusieurs autres pièces, Lettres d’interdiction au sieur de Sansay de juridiction sur les marchands et habitans de Nantes, dans les Actes de Bretagne, t. III, col. 1202, et aux mêmes Actes la longue correspondance de Sanzay avec le duc d’Estampes, col. 1326 et suiv.