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Constantinople n’ait accompli ce voyage. C’est seulement à l’époque où les Égyptiens conquirent le Hedjaz sur les wahabites que le territoire sacré revit sinon un « commandeur des croyans, » du moins des hôtes presque royaux. Le célèbre Méhémet-Ali accomplit en 1814 toutes les cérémonies du hadj au lendemain de ses premiers triomphes sur les sectaires et à la veille d’en remporter encore de plus éclatans. Son vêtement sacré, l’ihram, était composé de deux châles de cachemire entièrement blancs ; il gardait la tête nue comme les autres pèlerins, mais dans les rues un officier portait un parasol devant lui. Il avait dans sa suite une de ses femmes, la mère d’Ibrahim-Pacha, d’Ismaïl et de Toussoun, le vainqueur des wahabites. Le train de la princesse rappelait la splendeur du temps des califes. 500 chameaux avaient été employés à porter le bagage. Sa tente était comme un camp divisé en compartimens et entouré d’une clôture en toile de lin de 800 pas de circuit. Des eunuques noirs, splendidement vêtus, veillaient nuit et jour à l’entrée. Burckhardt, qui faisait en même temps le pèlerinage, était ébloui de la splendeur de cette installation qui lui rappelait les contes des Mille et une Nuits. La famille de Méhémet-Ali fit alors de grandes charités aux pèlerins pauvres ainsi qu’aux habitans de La Mecque et de Médine. Les libéralités de la princesse la firent regarder par le peuple comme « un ange envoyé du ciel. »

On sait que les wahabites, lorsqu’ils furent maîtres de La Mecque, sans défendre le pèlerinage par exemple aux Mogrebins et aux noirs, ne permirent pas aux Turcs d’y venir, parce qu’ils s’y conduisaient mal. Après cette interruption, la première depuis l’invasion des Karmates, c’est-à-dire depuis le IXe siècle, il y eut dans le monde musulman un grand élan vers La Mecque. C’est en 1814 que s’accomplissait le premier pèlerinage après la retraite des disciples d’Abd-ul-Wahab. Burckhardt estime le nombre des pèlerins à soixante-dix mille hommes venus de tous les pays musulmans et qui parlaient plus de quarante langues. Lorsque Burton alla en 1854 à La Mecque, il évalua le nombre des pèlerins à cinquante mille. Il est difficile, quand on n’a pas sur les lieux un témoin comme Burckhardt ou Burton, de compter les pèlerins qui arrivent à La Mecque. En rapprochant les évaluations faites sur divers points et à diverses époques par des observateurs dignes de loi, on arrive au chiffre d’environ 66,000 par an. M. le docteur Fauvel doit être bien près de la vérité lorsqu’il évalue en moyenne le nombre des pèlerins à 70,000 et celui de 1865 à 90,000 au plus.

Quels sont les sentimens qui animent les pèlerins ? C’est ce qu’on appréciera en suivant les diverses stations du hadj. La caravane avec laquelle Burton faisait route était sortie de Janibo : tout d’un