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cérémonies, de prescriptions minutieuses, mais qui ne sont pas rigoureusement observées. On pourrait faire remarquer à ce propos que l’islamisme est une des religions les plus formalistes, les plus superstitieuses, une de celles qui attachent le plus d’importance à ce que tel rite déterminé soit accompli en tel lieu, de telle manière, où l’on honore le plus les localités consacrées, où il y a le plus de prescriptions relatives à la toilette, à la nourriture. C’est donc à tort que, se prévalant du monothéisme, qui est en effet un principe essentiellement philosophique, mais dont les musulmans ne peuvent revendiquer ni la découverte ni le privilège, on considère quelquefois l’islamisme comme plus rationnel que les autres religions. Pour revenir aux minutieuses formalités du pèlerinage, on doit ajouter, sur l’autorité de Burckhardt, que chacun reste libre de faire ce qu’il veut, comme il le veut, sans être exposé à une remontrance et sans exciter de scandale[1].

Avant l’islamisme, les pèlerinages des Arabes à la Kaaba et leurs autres réunions nationales étaient de grandes foires ; Mahomet n’a rien changé à cet usage, il l’a au contraire spécialement consacré. On a du moins interprété ainsi les passages suivans de son livre : « prenez des provisions pour le voyage ; — ce n’est pas un crime de demander des faveurs à notre Seigneur. » Un certain nombre de musulmans entreprend le pèlerinage dans des intentions purement mercantiles, comme le pelletier de Bokkara dont parle M. de Maltzan. Nous ne croyons pas que la majorité des hadji soit dans ce cas. Dans une grande caravane, il y a d’abord les grands personnages qui ne font pas de commerce, qui dépensent même des sommes considérables pour mener leur propre train et pour venir en aide aux pauvres qui vivent d’aumône. Entre ces deux extrêmes, il faut placer les pèlerins qui ne sont ni riches ni pauvres, et qui trouvent dans le débit d’une petite cargaison qu’ils renouvellent les moyens d’accomplir leur devoir religieux. Il y a enfin, et ce sont les plus dignes d’intérêt, ceux qui, n’ayant aucune ressource pour faire le pèlerinage à leurs frais, ni le plus petit capital à exploiter, louent leurs bras pendant le voyage et à leur arrivée sur le territoire sacré.

  1. Un mot encore sur la piété de la famille de Méhémet-Ali, dont nous avons signalé la présence au pèlerinage de 1814. La femme du vice-roi d’Égypte, après avoir accompli les cérémonies du pèlerinage à La Mecque, se rendit à Médine pour visiter le tombeau du prophète et pour voir son fils Toussoun-Pacha, qui y commandait. A son arrivée, elle passa la plus grande partie de la nuit dans la mosquée à faire ses dévotions ; elle se retira ensuite dans la maison qu’elle devait habiter et qu’elle avait choisie exprès dans le voisinage du temple. Toussoun-Pacha lui fit alors une courte visite, mais en se retirant afin de la laisser reposer, il ordonna qu’on étendît un tapis dans la rue. Pour témoigner de son humilité et de son respect, il dormit tout le reste de la nuit sur ce tapis, à la porte du temple et devant le seuil de sa mère.