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l’impopularité des premières mesures répressives qui avaient suivi l’insurrection, et tel était l’effet produit à Madrid par les exécutions qui attristaient ces premiers jours, que la chute du vainqueur du 22 juin excitait fort peu l’intérêt de la population, qu’un pouvoir nouveau avait tout l’avantage de n’avoir rien fait, qu’il pouvait être presque populaire au premier moment. Le nom du général Narvaez en effet n’excitait aucun ombrage, même dans les faubourgs de Madrid où le combat avait été le plus sanglant. En outre, à observer les choses de près, la situation sans cesser, d’être périlleuse, était bien moins désespérée qu’on ne le pensait.

L’insurrection du 22 juin avait été redoutable, il est vrai, et avait provoqué à sa naissance une impression telle que tout le monde avait cru un moment à son succès. Après la bataille, tout était singulièrement changé. La victoire n’avait pas été seulement matérielle, elle avait eu un résultat moral ; elle avait complètement découragé les instigateurs et les acteurs de cette entreprise violente. Les esprits éclairés du parti progressiste et du parti démocratique étaient à peu près tous d’accord sur l’impossibilité de se relever de longtemps d’une telle défaite, sur la nécessité de rentrer désormais dans une voie de discussion régulière et de propagande pacifique. Ils auraient même plié devant une dictature qui se serait bornée au rétablissement de l’ordre ; c’était leur disposition. De là à se dégager de cette abstention systématique dont ils venaient de reconnaître la stérilité et à reprendre leur place dans le mouvement légal du pays, il n’y avait qu’un pas, — qu’une politique mesurée et prévoyante pouvait faciliter, comme aussi une politique à outrance pouvait ranimer tous les ressentimens, tous les instincts de révolution, en rejetant une multitude d’hommes dans des conspirations nouvelles, de telle sorte qu’à ce moment, s’il l’eût voulu, le ministère du général Narvaez pouvait très bien, sans rien trahir, sans livrer la monarchie, en restant simplement constitutionnel, conduire l’Espagne vers un apaisement graduel des esprits. Il l’aurait pu, si, dominant les passions de partis et se mettant en face d’une situation compromise par vingt ans d’erreurs, il eût hardiment, équitablement, fait la part des turbulences révolutionnaires ou ambitieuses qu’il devait combattre, et des instincts libéraux, sans le concours desquels la royauté nouvelle flotte au hasard ; mais il était emporté par une secrète logique de combat, il se croyait appelé à je ne sais quel rôle de restauration universelle. Né pour la résistance, c’est par la résistance qu’il a vécu, inaugurant une politique qui jusqu’ici ne s’est signalée que par des tendances et des procédés absolutistes, et qui n’a eu en somme d’autre résultat que de placer plus que jamais la monarchie