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ressentaient manifestement d’une situation où l’omnipotence ministérielle se déguisait à peine ; elles étaient brillantes et inutiles.

Les chambres semblaient n’avoir d’autre mission que de sanctionner en bloc tout ce qu’avait fait le gouvernement, de se conformer à sa pensée et de lui renouveler les témoignages de leur confiance. La liberté individuelle existait-elle ou restait-elle suspendue, et les sénateurs eux-mêmes, en exprimant leurs opinions avec indépendance, ne pouvaient-ils pas être exposés à quelque mésaventure ? On avait de la peine à obtenir du ministère des assurances un peu nettes, et encore M. Gonzalez Bravo mettait-il une sorte d’ironie hautaine à spécifier que l’inviolabilité des membres des assemblées n’existait que pendant la durée de la session. On aurait volontiers assuré qu’on n’avait emprisonné le général Serrano que pour son bien, pour lui éviter les désagrémens d’une situation où il aurait pu se compromettre. Des sénateurs appartenant au tribunal suprême de justice se permettaient-ils de voter en toute liberté dans un sens qui n’était pas celui du gouvernement, ils étaient aussitôt destitués. Il n’est pas jusqu’au nouveau président du sénat, le vieux et inoffensif marquis de Miraflores, qui, bien que nommé par le ministère, n’ait été bientôt conduit à donner sa démission. Il était trop indépendant, il s’est cru suspect, et un beau jour il est parti pour Aranjuez sans vouloir entendre parler de reprendre la présidence. Cette incompatibilité entre un conservateur tel que le marquis de Miraflores et le ministère est certes un des signes les plus curieux d’un ordre de choses où l’indépendance et la contradiction deviennent une anomalie, presque un acte de révolte. Le sénat au reste a fini par voter tout ce qu’on lui demandait, même une réformé de son règlement inspirée par l’esprit de réaction qui règne aujourd’hui. Je ne parle pas du congrès, qui ne pouvait être embarrassant que par son unanimité exemplaire, unanimité égale à celle de tous les congrès modérés, quand les modérés ont triomphé, aussi bien qu’à celle de tous les congrès progressistes, quand c’étaient les progressistes qui avaient le pouvoir. Ce que je veux montrer surtout, c’est ce je ne sais quoi de factice, d’entièrement subordonné dans la pratique des institutions parlementaires rudoyées par un gouvernement que M. Gonzalez Bravo ne veut pas laisser appeler un gouvernement d’absolutisme, mais qu’il appelle une concentration des forces conservatrices.

C’était l’apparence, ce n’était pas évidemment la réalité du régime constitutionnel, pas plus que les lois faites par le ministère n’étaient la réalité d’un régime civil régulier. M. Llorente, dans ce récent discours dont je parlais, discours aussi juste que prévoyant et que modéré, mettait à nu cette situation dans son rapport avec