Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa vie eût une fin prématurée : vous avez sans doute sur ce point quelques renseignemens à me donner.

— Peut-être bien, répondit Henriette, dont le sang-froid persistant dénotait une certaine satisfaction intérieure ; mais à quoi servirait entre vous et moi un débat ainsi engagé ? Il est trop tard maintenant que tout est fini pour entrer dans de si vaines explications… D’ailleurs, ajouta-t-elle, emportée par une irritation involontaire, vos questions mêmes ne sont-elles pas un éclaircissement qui pourrait et devrait vous suffire ? Comment ! c’est à moi, c’est à l’amie de Mabel que vous venez, vous, son mari, demander ce que Mabel a souffert, quels ont été ses chagrins secrets, de quel mal elle est morte sans vouloir ni l’avouer, ni s’en plaindre, ni vous avoir pour témoin de ses dernières heures ?… Je sais ce que vous m’allez répondre. Jamais, n’est-ce pas ? vous n’avez eu le moindre tort envers elle ? en bien ! non, vous êtes irréprochable… Seulement vous ne l’avez jamais connue, jamais vous n’avez essayé de deviner ce qu’il pouvait y avoir de contrainte dans son attitude calme, de souffrance au fond de sa sérénité résignée. Vous ne l’avez ni maltraitée, ni négligée ; elle a obtenu tous les privilèges dus à votre légitime compagne ; que pouvait-elle souhaiter de plus ?… il fallait cependant qu’elle souhaitât autre chose, puisque sous vos yeux, et sans que votre habituelle clairvoyance vous en avertit, elle mourait lentement de ce mal qu’on appelle un « cœur brisé. »

— C’est impossible !

— Pourtant cela est… Je sais que mainte personne à sa place se serait contentée du lot que vous lui faisiez ; mais toutes les femmes n’ont pas cette nature à part, cette réserve silencieuse, ce mépris de tout ce qui est plainte ou reproche, cette jalousie qui se dévore sans jamais s’épancher…

— Quand ai-je donné prétexte à sa jalousie ?

— Si vous demandiez au contraire : quand n’a-t-elle pas eu sujet d’être jalouse ?… Pensez-vous qu’elle n’ait pas rencontré dans votre cœur, et cela dès le début, une terrible rivale ? A-t-elle pu se méprendre sur le vrai but de votre existence, sur le mobile premier de toutes vos pensées, de toutes vos actions ?… Certes les femmes sont insensées quand elles se plaignent que leurs maris se dévouent corps et âme à la profession qui les fait vivre… Il en est pourtant d’assez folles pour cela,… et Mabel était du nombre… En dernier lieu d’ailleurs…

— Eh bien ? demanda Wilmot, que la suspension de cette phrase jetait dans une perplexité nouvelle. Le tremblement de sa voix n’échappa point à son implacable dénonciatrice.

— Que voulez-vous ? continua-t-elle, Mabel sur ce point n’était