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de lady Muriel… J’ignorais, monsieur, continua-t-il en s’adressant à Wilmot, que vos soins fussent encore réclamés par la santé de ma sœur… Je la croyais rétablie et en état de n’avoir plus recours à vous.

Naturellement pâle, Ronald était presque livide au moment où il prononçait en frémissant ces amères paroles. Chudleigh Wilmot ne semblait guère moins ému quand il lui répondit, presque sur le même ton : — Vous étiez dans le vrai, capitaine Kilsyth ; ce n’est plus le médecin qui continue ici ses visites. C’est à titre d’ami que vous me trouvez auprès de votre sœur.

Ronald se redressa aussitôt : — Il me reste à savoir, docteur Wilmot, si vos relations avec la famille sont de nature à autoriser ces visites purement amicales… Madeleine, veuillez m’accompagner !…

Comme la jeune fille hésitait malgré l’accent impérieux de ces dernières paroles, Ronald la prit à son bras et la conduisit hors du salon, où Chudleigh Wilmot demeura immobile d’étonnement et de colère.

Son premier mouvement, en face d’une insulte imprévue, imméritée, — la première qui l’eût atteint dans le cours triomphant de sa carrière si bien commencée, — fut de courir après Ronald, de le frapper au visage, de l’étendre à ses pieds. Il n’était rien moins que lâche, rien moins qu’insensible à l’outrage, et bien certainement il venait d’en subir un, aggravé par une préméditation évidente. Ses dents s’étaient serrées, ses poings s’étaient crispés, ses narines s’étaient dilatées par un instinct de nature… Une pensée le clouait sur place. Qu’allait-il résulter d’un éclat pareil ? que deviendrait le nom de Madeleine, mêlé au récit d’une scène violente ? Irait-il jeter ce nom adoré en pâture au bavardage idiot de la foule oisive, aux terribles indiscrétions d’une presse altérée de scandales ?… en bien ! non, si amère que fût l’insulte, il la fallait dévorer, il fallait se résigner, il fallait pour elle renoncer à toute vengeance. Ce fut pour Wilmot, chrétien médiocre, un effort prodigieux, mais accompli avec une prodigieuse soudaineté. Son parti une fois pris, — et il le fut en quelques secondes, — il passa fort tranquillement du salon dans le boudoir, salua lady Muriel selon les formes, échangea pendant cinq ou six minutes avec les uns et les autres une série de propos indifférens, et prit ensuite congé, tout à fait calme en apparence, alors qu’au dedans de lui grondait encore la tempête enchaînée.

Ce jour-là, ses malades le trouvèrent plus doux, plus patient que jamais. Jamais ils ne l’avaient vu si complaisamment attentif au long détail de leurs misères, jamais il ne les avait examinés,