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pourraient plus rien en faveur des projets que Wilmot avait caressés dans le secret de son cœur. Il avait pu compter naguère sur ces deux alliés ; l’horrible soupçon les lui enlèverait inévitablement, et ce soupçon, comment le combattre sans risquer de le transformer en réalité avérée ? A tout prix, il fallait sortir de ce rigoureux dilemme. Puisqu’il ne pouvait ni retourner chez les Kilsyth, ni expliquer au chef de la famille les motifs qui l’en éloignaient, ni lutter ouvertement contre des imputations qui rendaient infranchissable l’abîme jeté entre Madeleine et lui, il n’y avait plus qu’à se courber sous l’implacable, l’inévitable, le fatal décret. Entre Madeleine et lui, plus d’union possible. Leurs routes étaient à jamais tracées en deux sens différens. Le frère, la morte, tous avaient raison contre lui. Le destin s’était prononcé. Son irrévocable décision demeurait sans appel, sans recours possible. Le reste allait de soi, il fallait absolument quitter Londres. Six mois, un an d’absence, devenaient indispensables. Ce serait sans doute un échec, peut-être une ruine pour l’édifice dont il avait si laborieusement assis les bases ; mais cet exil involontaire aurait du moins cet avantage de couper court aux mauvais propos de l’envie, aux interprétations malveillantes qu’elle persisterait à faire prévaloir, s’il restait en vue, s’il continuait à gêner les ambitions rivales de la sienne. Son imagination excitée lui montrait d’avance les insinuations perfides, les meurtriers sarcasmes dont il ne manquerait pas d’être le plastron, s’il s’obstinait à braver tous les ennemis qu’il devait à ses succès. Reculant avec une sorte d’effroi devant les perspectives qu’elle lui ouvrait ainsi : — Rester est impossible, se dit-il. Sa résolution arrêtée, il s’occupa des voies et moyens. Sa clientèle, Whittaker en hériterait. Whittaker, en somme, s’était bien conduit dans ces affreuses circonstances de la mort de Mabel. D’ailleurs ce serait pour lui un nouveau motif d’oublier, un nouveau motif de se taire. En le récompensant, on lui fermerait la bouche. Le départ s’expliquerait par des raisons de santé ; on pourrait croire aisément que les angoisses par lesquelles Wilmot venait de passer avaient ébranlé sa forte constitution. La question d’argent n’était que secondaire. Il avait assez mis de côté pour vivre quelque temps, peut-être même pour achever de vivre sans tirer de sa profession le moindre bénéfice. Maintenant que laisserait-il de si regrettable dans ce Londres où sa vie avait été absorbée jusqu’alors par un travail incessant, en dehors de tous les plaisirs du monde, en dehors de toute cordiale intimité ? Seule peut-être l’affection excentrique de son excellent parrain, ses brusqueries mêlées de sages et tendres conseils, ses reproches sarcastiques émanant de l’intérêt le plus vrai, de la sympathie la plus sincère, allaient lui manquer et laisser dans sa nouvelle existence un vide difficile à combler…