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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/669

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tant de franchise. Figurez-vous que vous assistez à une leçon d’anatomie, et qu’il faut l’entendre jusqu’au bout. Le mariage me laissa dans cette espèce de virginité toute spéciale. Ma….ma femme était une personne calme, qui suivait paisiblement les voies frayées de l’existence routinière. Quant à moi, je ne voyais au monde qu’un intérêt de premier ordre, ma carrière à fournir, C’est alors que j’allai à Kilsyth, alors que j’y vis votre sœur, que je lui donnai mes soins. Qui donc aurait pu se défendre d’un vif intérêt pour cette enfant dont la mort allait faire sa proie, et de qui on s’éloignait déjà comme si tout était dit ?… Abandonnée de tous, elle n’avait plus que moi pour la défendre ; à ses forces défaillantes, il me fallait suppléer jour et nuit… J’étais son unique secours, je la disputais heure par heure à un trépas sans cesse imminent. Après des crises délirantes où mes bras l’enveloppaient et la protégeaient contre elle-même, et lorsqu’elle retombait à demi brisée sur mon cœur frémissant, j’avais à subir le charme irrésistible de sa douceur ineffable, de sa candide reconnaissance… La transparence de cette angélique nature m’en révélait toutes les perfections, et, m’étonnant, m’élevant au-dessus des ambitions vulgaires où ma vie s’était jusque-là consumée, m’ouvrait un horizon supérieur. Voyons ! me suis-je fait comprendre ? Avez-vous quelque idée de ce que j’ai dû souffrir ?…

Et comme Ronald, détournant la tête, gardait à son tour le silence : — Quelque embarras que j’éprouve à passer outre, continua Wilmot, je dois et je veux tout vous dire. Oui, j’ai mérité qu’au début de cet entretien vous m’ayez hautement reconnu pour un homme d’honneur, puisque j’ai traversé sans en rien laisser percer au dehors ces émotions si violentes, ces orages intérieurs qui parfois troublaient ma raison. Jusqu’à la journée d’hier, jusqu’à ce moment où votre regard sévère est venu m’atteindre en pleine conscience, j’ai pu croire que mon secret n’appartenait qu’à moi seul. Votre sœur, j’en suis certain, n’a rien dû soupçonner ; à l’heure qu’il est, pas un mot, pas un regard, pas un geste ne m’est échappé qui pût troubler la sérénité de son âme. Il y a plus. Ayant eu à reconnaître chez elle les symptômes précurseurs d’un mal qui semble attaquer les sources mêmes de la vie, j’ai cru devoir en avertir votre père, et, sollicité par lui de continuer mes soins à la jeune malade, je n’avais pu me refuser à sa demande ; mais après réflexion je m’étais décidé à chercher un prétexte pour fuir cette nouvelle épreuve. Ce parti était pris avant que je ne fusse de retour à Londres… Vous savez ce qui m’y attendait… Vous savez comment je me suis trouvé soudainement affranchi des liens qui donnaient à mes visions de Kilsyth un caractère à la fois coupable et chimérique… Je ne vous cacherai point que, le premier émoi passé, des