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vives le sentiment public, il faut bien reconnaître que, si la Bretagne suivit son gouverneur dans la lutte commencée en 1589, elle l’aurait vite abandonné, si d’une lutte engagée contre un roi protestant il avait prétendu passer à une guerre contre la monarchie française.

La duchesse de Mercœur, la belle Nantaise, mettait une grâce charmante à rappeler son origine bretonne au peuple de sa ville natale ; elle se mêlait à ses fêtes et à ses jeux, s’associant à toutes les manifestations de sa haine contre les protestans ; elle ne déployait pas moins d’habileté pour se concilier la rude noblesse, demeurée ardemment catholique malgré la défection des grandes maisons féodales, passées au calvinisme. Dans sa cour prude et pédante, qui laissait pressentir l’hôtel de Rambouillet, on célébrait en vers et en prose sa beauté et sa vertu, pendant que des historiographes dévoués révélaient à la Bretagne l’origine carlovingienne de la maison de Lorraine. Pierre Biré, Julien Guesdon, emphatique auteur des Loisirs de Rodope, Nicolas de Montreux, bel esprit qu’aurait jalousé Voiture et qui portait sur ce Parnasse le nom d’Olénix du Mont-Sacré, d’autres écrivains dont les ouvrages imprimés à Nantes de 1589 à 1598 dorment aujourd’hui sous la poussière des bibliothèques, avaient entrepris en faveur de leur protectrice une sorte de croisade littéraire. Il n’était pas de couronne qui pût rehausser l’éclat de son beau front, et le premier trône du monde aurait été un escabeau peu digne de ses pieds. Son illustre époux, issu du sang impérial, réunissait les qualités d’Alexandre et de César, et la victoire de Craon n’était pas moins glorieuse que celle d’Arbelles. Lorsque la guerre civile fut engagée, la pléiade lutta de violence avec le célèbre Le Bossu, le théologal Christi, le jacobin Lemaistre et tous les prédicateurs de Nantes, fort dignes à tous égards de figurer à côté de ceux de Paris ; mais ni dans ces nuages d’encens ni dans ces débordemens de fureur il n’est possible de surprendre d’invitation à séparer la Bretagne de la France et à relever le trône des anciens ducs au profit de leur noble fille. Aucune allusion précise ne s’applique à ces ambitieuses espérances, lesquelles pouvaient cependant se produire en toute sûreté au sein de la ville de Nantes, demeurée près de dix ans sans rapport avec l’autorité royale. Personne n’osait sans doute, puisque les poètes eux-mêmes n’osaient pas. C’est que de tels vœux, probablement fort agréables au duc et à la duchesse de Mercœur, ne correspondaient point au sentiment qui avait mis les armes à la main de ce peuple sincère et loyal. Les états de la ligue assemblés à Nantes par Mercœur en 1592 étaient les véritables organes de l’opinion lorsqu’ils affirmaient « vouloir vivre et mourir inviolablement dévoués à la monarchie, dont ils demeuraient avec regret séparés en attendant qu’il plût à Dieu de donner à la France, un