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opérations du maréchal d’Aumont, appelaient avec le plus d’insistance les secours du roi catholique, ils prenaient contre leurs suspects alliés les mesures de méfiance les moins équivoques et les plus blessantes.

Constituée en France dès l’année 1577 dans un pur intérêt d’influence, et lorsqu’il n’y avait pas encore à se préoccuper de l’éventualité d’une succession protestante, la ligue était parvenue à enrôler les consciences au service de hautes ambitions ; on comprend fort bien dès lors que cette grande faction s’y soit divisée en parti guisard, en parti espagnol et en parti politique, selon la diversité des résultats que chacun se proposait d’atteindre. En Bretagne au contraire, la ligue, organisée plus tard et dans la seule pensée de combattre un péril nettement défini, ne permit ni à Mercœur, quoiqu’il dirigeât les forces bretonnes, ni à Philippe II, quoiqu’il occupât le pays par un corps d’armée, de substituer un intérêt politique à une question toute religieuse. L’honnêteté publique découragea les plus persévérantes ambitions, et cette malheureuse péninsule, envahie à la fois par les Espagnols et par les Anglais, éleva une barrière d’airain contre les uns et contre les autres.

Les magistrats de Rennes, demeurés fidèles au nouveau roi, détestaient aussi cordialement les Anglais, qui servaient alors la cause de ce prince, que les magistrats de Nantes redoutaient les Espagnols, dont ils étaient contraints de réclamer les secours. Les parlementaires royalistes étaient des catholiques fort ardens, qui n’avaient jamais eu de goût pour la messe du chancelier. Ils étaient même ennemis si prononcés de la réforme et si peu disposés à la tolérance religieuse, que les huguenots étaient beaucoup plus maltraités à Rennes sous le gouvernement royaliste qu’ils ne le furent à Nantes sous la domination des ligueurs[1]. C’est que le duc de Mercœur pouvait rester modéré, parce qu’en matière d’orthodoxie il n’était suspect à personne, tandis que le prince de Dombes et tous les serviteurs catholiques du roi protestant exagéraient à tout propos la répression religieuse, appliquant avec une rigueur calculée les édits du règne précédent, afin de détourner les suspicions populaires, toujours en éveil contre eux. Ils avaient reconnu le nouveau souverain pour deux motifs : d’une part, ils professaient la doctrine de l’inamissibilité du droit royal, qui depuis

  1. Les registres du parlement de Rennes du mois d’août 1589 au mois de février 1598, époque de la pacification, contiennent des arrêts nombreux rendus contre divers habitans suspects d’hérésie, emprisonnés ou éloignés pour cette cause ; on y trouve également des interdictions portées contre la circulation de certains livres, etc. Les profanations commises dans les églises par les Anglais, qui constituaient alors la principale force de l’armée royale en Bretagne, sont aussi l’occasion de remontrances fréquentes adressées à Henri IV, même avant sa conversion, par les membres du parlement et par les trois ordres des états.