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immortalisés Froissart, insurrections de paysans suivies d’égorgemens sans merci, mise à sac des châteaux, incendie des chaumières, populations affamées et dévorées par les loups, telles sont les scènes fantastiques et sanglantes qui s’accumuleraient dans ces sombres pages, s’il se rencontrait jamais un grand peintre que tenteraient de pareils tableaux. Les témoignages écrits surabondent d’ailleurs, car aucune province n’est aussi riche que la Bretagne en monumens historiques de cette époque. Ni Montmartin le huguenot, ni Pichart le politique, ni d’Aradon l’ardent ligueur, ni La Landelle, ni Piré[1], ne sont assurément des écrivains, et de tous les chroniqueurs bretons de ce temps-là le chanoine Moreau mériterait seul ce titre ; mais en joignant leurs témoignages aux actes réunis par D. Morice et D. Taillandier on obtient un vaste ensemble de documens qui manquait à Walter Scott lorsqu’il jetait à l’avide curiosité de l’Europe les Chroniques de la Canongate et les chefs-d’œuvre qui suivirent. En attendant qu’on la raconte et qu’on la peigne, je voudrais déterminer le vrai caractère de cette lutte d’après la part qu’y prirent en Bretagne les prêtres, les gentilshommes, les bourgeois, et les paysans.

Le clergé presque sans exception s’engagea dans la guerre dès le début. Tandis que, sur les cent dix-huit archevêques et évêques que comptait alors le royaume, cent s’étaient prononcés pour Henri IV dans les trois premiers mois de son avènement, des neuf évêques de Bretagne un seul reconnut les droits de Henri de Navarre. En prenant cette résolution, Philippe du Bec, évêque de Nantes, se mit en opposition avec toute la population de sa ville épiscopale et dut abandonner immédiatement son siège. Par un motif contraire, Aymar Hennequin, évêque de Rennes, avait dû fuir aussitôt après que cette ville fut rentrée, en 1589, sous l’autorité de Henri IV, car il y avait été décrété d’accusation et de prise de corps comme ligueur. Prélat d’une éminente capacité, Hennequin joua durant quatre ans un rôle considérable dans le grand conseil de la ligue à Paris, mais sans s’y livrer pourtant ni

  1. J’ai déjà parlé du capitaine de Montmartin. — Jérôme d’Aradon, seigneur de Quinipily, frère de l’évêque de Vannes, fut un des plus braves lieutenans de Mercœur, dont il suivit jusqu’au bout la fortune. Ses mémoires, qui commencent en juin 1589 pour finir en août 1593, ont été insérés dans le Supplément aux preuves de l’Histoire de Bretagne. Nicolas Frotet, sieur de La Landelle, auteur de la Ligue à Saint-Malo, fut l’un des chefs les plus importans de la grande commune malouine. Rosnyvinen de Piré, conseiller au parlement de Bretagne, a écrit au commencement du XVIIe siècle une Histoire de la ligue en Bretagne, publiée en 1739 sous le nom de Guyot Desfontaines, 2 vol. in-12. La Bibliothèque impériale en possède un manuscrit, fonds Blancs-Mant., n° 176, beaucoup plus complet que l’ouvrage imprimé. Enfin la piquante et spirituelle chronique du chanoine Moreau, conseiller-clerc au présidial de Quimper, s’occupe plus spécialement des diocèses de la Basse-Bretagne. Elle a été imprimée pour la première fois en 1836 par M. Le Bastard de Mesmeur, à Brest.