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lui toutes les forces vives du pays. Si le prince lorrain n’en recueillit pas le bénéfice, et si sa position militaire ne tarda pas à changer, c’est que la noblesse était devenue plus économe de son sang depuis que par l’abjuration du roi sa conscience avait cessé d’être intéressée dans un débat désormais sans motifs.

Ce fut surtout dans le tiers-état que la ligue provoqua les plus longs et parfois les plus héroïques sacrifices. Elle ne fut jamais pour lui une conspiration d’ambitieux, car en poursuivant la guerre au détriment manifeste de leurs intérêts, ces citoyens obscurs n’aspiraient qu’à la joie désintéressée de combattre pour une idée, comme on dirait de nos jours. Les problèmes agités en 1589 impliquaient, indépendamment de l’importance dogmatique qu’ils présentaient, des questions de souveraineté nationale sur lesquelles on ne saurait fermer aujourd’hui les yeux. La ligue, qui atteignit son but religieux en manquant son but politique, avait donné un incroyable essor à la vie municipale en France ; elle fit descendre le souci des intérêts publics jusqu’aux plus modestes foyers. On peut dire que la ligue fut l’œuvre d’un peuple honnête exploité par des chefs sans moralité. Elle conserva la monarchie catholique, qui malheureusement devint absolue par l’effet même de la victoire du droit royal. Les communautés de Bretagne parvinrent à créer pour résister à l’armée anglo-française des ressources tellement abondantes, que, si l’existence n’en était attestée par d’authentiques témoignages, on serait tenté, en plaçant le présent en regard du passé, de rejeter comme impossibles les faits les mieux constatés. Entre toutes ces villes où les bourgeois passent leur vie sur les remparts, pointant les canons et recevant des arquebusades, il en est une dans laquelle l’esprit municipal se révéla sous un aspect si original et déploya une telle puissance, qu’il convient de s’arrêter tout d’abord devant ce phénomène historique.

La ville de Saint-Malo eut une destinée orageuse comme les flots qui l’enlacent. Sujette des ducs, elle se donne ou s’offre tour à tour au pape, à son évêque, au roi de France, à quiconque consent à l’assister dans ses efforts pour conserver ses franchises et le droit, auquel elle tient par-dessus tout, de veiller elle-même à sa propre sûreté. Depuis la réunion de la Bretagne à la monarchie, le corps de ville malouin, composé des douze conservateurs et des quatorze capitaines des compagnies de la milice, traite directement avec les rois ; il leur procure contre de bonnes sûretés de l’or, des matelots et jusqu’à des flottes ; la ville fait des sièges et des blocus en traitant par entreprise avec le gouverneur de la province[1] ; elle passe des conventions commerciales avec les puissances maritimes,

  1. Vie du duc de Montpensier, par Coutureau de La Faille, p. 85.