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le voyageur au pied du haut clocher de Pont-Croix, qui vit flamber un bûcher colossal, et dans cette cité ensevelie de Penmarch, où la vague gémit triste et bruyante comme le chœur plaintif de six mille victimes impitoyablement immolées.

Entre tant de drames, il en est un que je recommanderais volontiers au romancier qui pourrait avoir un jour la pensée d’interroger ces ruines ensanglantées par la fureur des hommes. Qu’il n’oublie pas les courtes amours et la fin tragique du baron de Kerlech, mis à mort par les paysans au château de Roscannou. Ce noble jeune homme, Claude Du Chastel en son nom, était d’après le chanoine Moreau l’un des plus braves et des plus beaux galans de la Bretagne. Au comble de ses vœux, il venait d’épouser à Rennes, ville du parti du roi, auquel il appartenait lui-même, une fille de grande maison, Jeanne de Coëtquen, gracieuse enfant ayant à peine quinze ans, mais qui portait déjà dans son sein un gage de la tendresse de son époux. C’était en 1590, au plus fort de la guerre civile. Voulant amener sa jeune femme en son beau manoir du Léon, Kerlech partit de Rennes en compagnie d’environ quatre-vingts chevaux, montés, par quelques gentilshommes de ses amis et par leurs serviteurs, afin de pouvoir se défendre contre les paysans qui dans la Basse-Bretagne étaient partout sous les armes, n’obéissant à personne et n’en faisant qu’à leur tête. Cette belle et joyeuse compagnie avait déjà traversé bien des dangers, elle était arrivée, en voyageant le plus souvent de nuit et par des chemins peu fréquentés, au pied des Montagnes-Noires, à cinq lieues de Quimper. Elle alla coucher en une gentilhommière, propriété de la veuve d’un conseiller au présidial de cette ville, parente du sire de Kerlech, laquelle, ayant été avertie de la venue de ces hôtes nombreux, avait fait de grands préparatifs pour les recevoir. Malheureusement ladite dame était seule dans tout le quartier du parti des royaux, et, comme elle parlait avec une liberté dangereuse en certains temps, elle était fort haïe de tous les paysans, chaleureusement dévoués à la sainte union. Le bruit se répandit aussitôt qu’il était arrivé à Roscannou un corps de royaux venus pour soumettre et pour rançonner le pays. — Le tocsin sonna dans les paroisses d’alentour, et les paysans entourèrent de masses profondes la maison où les voyageurs sans défiance ne songeaient qu’à faire bonne chère. Les « rustiques » eurent soin de barricader les avenues de manière à interdire toute sortie aux cavaliers. Les assiégés, l’œil bientôt ouvert sur la gravité du péril, firent pour se dégager une tentative infructueuse dans laquelle plusieurs d’entre eux périrent enfourchés par les paysans. Après avoir cerné la maison et s’être bien assurés qu’elle n’offrait aucune issue, ceux-ci y mirent le feu de plusieurs côtés à la fois. Le baron de Kerlech voulut forcer cet horrible blocus l’épée à la main, et, n’y