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autres. Du sommet des montagnes d’Arrhès jusqu’à la baie des Trépassés, le Finistère porte encore la marque de la bête féroce qui le ravagea. Fontenelle mérite une place à part dans les annales du crime, car on pourrait dire qu’il en a reculé les limites. Guy Éder, baron de Fontenelle, d’une branche cadette de la maison de Beaumanoir, fit ses études à Paris au collège de Navarre, d’où il s’échappa à l’âge de seize ans pour rentrer en Bretagne à la fin du règne de Henri III. La guerre civile n’était pas encore allumée dans la province, qu’il avait déjà commencé à dévaliser le diocèse de Tréguier à la tête d’une bande recrutée parmi les vassaux de sa famille et renforcée par quelques compagnons de débauche. Il pilla plusieurs villes ouvertes telles que Lannion, Paimpol et Landerneau ; mais il échoua devant Guingamp, défendu par le sire de Kergomard, du parti du roi. Ayant alors arboré le drapeau de la ligue, Fontenelle se rejeta sur Coëtfrec, qu’il fortifia et dont il fit son premier quartier-général. Ce château fut le témoin muet des orgies dont d’inénarrables cruautés formaient, dit-on, l’assaisonnement. Sous l’épais fourré qui en cache les ruines, on voit encore la vaste salle dont les poutres croulèrent dans le tournoiement d’un bal infernal en brisant la jambe de Fontenelle, demeuré boiteux toute sa vie. Ce fut aussi dans ce lieu qu’il conduisit la jeune héritière du Mézarnou, enlevée à l’âge de huit ans et qu’il épousa plus tard. La tradition veut que le monstre lui rendit un peu de rattachement passionné que cette jeune femme conçut et conserva pour lui. Assiégé dans Coëtfrec par le marquis de Sourdéac et la garnison de Brest, Fontenelle capitula, vies et bagues sauves. Quittant avec sa bande l’évêché de Tréguier pour s’abattre sur la Haute-Cornouaille, il prit d’abord Carhaix, dont il transforma l’église paroissiale en une bonne forteresse ; puis il s’empara du Granec, excellent château appartenant au sire de Pratmaria, au moyen d’une infâme supercherie exercée contre un homme du parti de la ligue, que ce brigand prétendait servir. Un détachement de sa bande s’introduisit au Granec en se présentant comme envoyé par le gouverneur de Morlaix, informé par voie sûre qu’un fort parti de royaux se dirigeait sur ce château afin de s’en emparer. Pendant que M. de Pratmaria, dans l’effusion de sa reconnaissance, prodiguait à ses prétendus défenseurs le meilleur vin de ses caves, ceux-ci se jetèrent sur lui, le garrottèrent solidement et s’empressèrent d’abaisser la herse devant Fontenelle, qui attendait avec les siens. Ils eurent facilement raison de quelques vassaux formant la petite garnison du lieu, et jetèrent le trop crédule vieillard dans un cul-de-basse-fosse pour y méditer sur les moyens de se procurer une grosse rançon, Le lendemain, les communes d’alentour exaspérées se ruèrent sur le château avec leur inexpérience ordinaire,