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de plus en plus manifeste de la ligue, sa résistance à Henri IV plus de deux ans après l’entière soumission du royaume au pouvoir royal ? Comment comprendre que Mercœur ait continué une lutte déjà désertée depuis longtemps par le duc de Mayenne, le duc de Guise et les autres princes de sa maison ? Ce problème aurait mérité l’attention des hommes qui se sont donné la tâche d’écrire l’histoire de cette époque. Comme il ne touche qu’indirectement à l’objet principal de ces études, je ne l’aborderai qu’en passant.

Philippe-Emmanuel de Lorraine avait tous les défauts de ses qualités. Poussant la réserve jusqu’à la timidité et la prudence jusqu’à l’hésitation, il attendit du peuple breton une acclamation qu’il n’osa pas provoquer, espérant se ménager par la guerre ces chances heureuses qu’elle ne prodigue qu’aux chefs assez habiles pour les préparer. Ce prince, qui trois ans plus tard se montra en Hongrie un homme de guerre presque téméraire, fut en Bretagne un général incertain et un politique irrésolu, — heureux, dans l’avortement de toutes ses entreprises, d’avoir par d’admirables vertus privées mérité l’honneur d’être loué par François de Sales[1]. Depuis 1595, Mercœur négociait avec la cour, et ces négociations, dont la reine Louise de Vaudemont, sa sœur, était l’intermédiaire, avaient fait prendre patience à ce malheureux pays par l’espérance d’une pacification toujours promise, mais toujours ajournée. Indépendamment des difficultés d’intérêt personnel, qui avec Henri IV n’étaient jamais fort difficiles à aplanir, Mercœur avait élevé contre lui-même un obstacle qui fut longtemps insurmontable. En appelant les Espagnols en Bretagne, il s’était donné des maîtres plus que des alliés.

Lorsque Philippe II se décidait à envoyer une flotte et des troupes dans cette province, il se proposait un double but. S’il lui fallait renoncer à faire couronner l’infante Claire-Eugénie comme reine de France, et si les états-généraux persistaient, à l’exemple du parlement de Paris, à maintenir la loi salique, le roi d’Espagne considérait comme possible de faire proclamer sa fille duchesse de Bretagne. Il espérait pouvoir faire revivre en faveur de cette princesse, dans un pays où la succession féminine avait été admise dans tous les siècles, le droit que lui donnait sa descendance directe d’Anne de Bretagne et de Claude de France, et ce titre eût été incontestable en effet, si l’édit d’union ne l’avait infirmé. Enfin, si cette perspective devait échapper à son ambition et à sa tendresse, Philippe II considérait encore comme un intérêt du premier ordre une main-mise sur la grande province de l’ouest, dont les ports, s’ouvrant en face de l’Espagne, étaient en mesure

  1. Oraison funèbre du duc de Mercœur par saint François de Sales, prononcée en la cathédrale de Paris le 27 avril 1602.