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seignait crûment la belle morale que voici : « toutes les grandes, subtiles et ingénieuses inventions de l’âme ont été imaginées pour le plaisir du ventre, ou pour l’espérance d’y pouvoir parvenir d’en jouir. » Adversaire impitoyable de ce matérialisme, Plutarque ne tombe pas pour cela dans le mysticisme religieux où les alexandrins allèrent sombrer après lui. Sans enfoncer dans les profondeurs métaphysiques, il a une psychologie solide sur laquelle il tient sa médecine morale en parfait équilibre. Au fond, il n’a qu’un principe, c’est qu’il faut sauver l’âme par l’âme elle-même, et pour cela ne sacrifier aucune de ses forces vitales, mais les stimuler toutes par l’action maîtresse de la volonté. Cette conception morale est la plus large et la plus complète que l’antiquité ait produite. Quoique Plutarque ne l’ait pas présentée dans un cadre systématique, elle apparaît à chaque page de ses œuvres. Elle est bien à lui, et l’avoir formée, même avec des élémens antérieurement découverts, c’est le fait d’un esprit supérieur. Le principe qu’il avait deviné d’instinct dans sa jeunesse ; voyons comment plus tard il l’appliqua philosophiquement à la triple régénération de la famille, de la cité, de la croyance religieuse.


II.

Plutarque, nous l’avons dit, passa plusieurs années de sa jeunesse à Rome. Le double séjour qu’il y avait fait ne lui laissa guère que d’agréables souvenirs, consignés çà et là dans ses ouvrages. Il avait eu l’honneur, très grand à ses yeux, de représenter et de défendre au siège même du gouvernement impérial les intérêts municipaux de Chéronée. Les bibliothèques lui avaient offert les moyens de compléter son instruction et d’abondans matériaux pour la préparation de ses Vies parallèles. Dans les sociétés où il était admis, il avait renoué d’anciennes liaisons et formé de nouvelles amitiés. Il s’était concilié l’estime de personnages considérables, tels que Métrius Flores, savant homme qui faisait la leçon même à Vespasien, Paccius, brillant avocat, ami de Pline et de Tacite, Fundanus, l’illustre conseiller de Nerva et de Trajan. Auprès d’eux et parmi les membres de la colonie grecque, il rencontrait d’anciens condisciples, des camarades, des parens même, qui lui rendaient quelques-unes des joies de la patrie absente. Sans obtenir les éclatans succès oratoires que lui attribue gratuitement Ruauld, l’un de ses historiens, il avait réussi dans ses cours de morale et exercé une sérieuse influence sur des âmes choisies. Il était donc heureux à Rome, et cependant il ne s’y fixa point. Quels furent les motifs qui le ramenèrent à Chéronée ? Les uns sont connus, et on devine