Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les paroles de la jeune épouse soient comme le parfum des fruits embaumés. À l’heure mystérieuse où sa tunique tombe, que sa beauté se voile de pudeur. Qu’elle ravisse, qu’elle enchante son mari, non, il est vrai, comme Circé enchanta les compagnons d’Ulysse, mais comme la magicienne charma le héros lui-même en respectant sa raison, au lieu de l’éteindre dans l’ivresse des sens. Qu’elle ait la noble ambition de régner sur un homme, non sur un esclave ou sur une brute. Plaisirs, amis, pensées, croyances religieuses, que tout soit commun à tous deux. Point de querelles, point de guerre, et si par malheur, — car il faut tout prévoir, — si par malheur un différend s’élève, invoquez sans retard la médiation de Vénus. » Voilà le frais idéal que Plutarque oppose à l’image de courtisane ; voilà l’amie, la compagne, la confidente qu’il essaie de substituer à l’antique ménagère, afin d’attirer l’homme au foyer domestique et de l’y retenir.

À cette création nouvelle, le mari doit aussi travailler, Ici encore Plutarque était novateur à son époque et, reste neuf même aujourd’hui. Sans insister sur certains préceptes aussi connus que peu suivis, je choisirai, parmi ses vues originales, un point où il a devancé et surpassé deux grands moralistes modernes. À l’égard de l’instruction des femmes, Molière et Jean-Jacques Rousseau ont été plus mordans que justes. D’après Molière, Agnès est trop peu, savante, et les précieuses le sont trop. Fort bien : ainsi nous fuirons les précieuses, et nous instruirons Agnès. — Oui, reprend Molière, instruisez-la, mais très peu.

 
Il faut que le savoir d’une femme se hausse
À connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse.


En conscience, quel homme éclairé sera satisfait à ce prix ? Rousseau, plus libéral en apparence, retire d’une main ce qu’il a donné de l’autre. Destinée à un mari intelligent, Sophie n’a pour dot intellectuelle que la connaissance de Barème et de Télémaque. « Ô l’aimable ignorante ! s’écrie Rousseau ; heureux celui qui l’instruira ! » Sans doute, pourvu qu’entre eux il n’y ait pas trop de distance. Achever l’éducation de sa jeune femme, c’est une fête ; mais la faire, serait-ce longtemps un plaisir ? Le rôle ingrat de pédagogue, Plutarque n’a garde de l’imposer à l’amour. Pollianus peut, dès le premier jour, parler à Eurydice de littérature, de philosophie, de sciences même ; avec de l’attention, elle le comprendra. L’ignorante, fût-elle sensée, ne comprend pas toujours ; la pédante croit toujours n’être pas assez comprise. Entre elles, on peut trouver la femme sensée et instruite à la fois que Rousseau n’a pas su apercevoir. Celle-ci est précisément l’Eurydice de Plutarque, qui