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sur la puissance impériale, elles oubliaient leurs libertés. Au lieu de maintenir avec force leur individualité politique, elles faisaient fi de leurs droits et de leurs privilèges, et se centralisaient elles-mêmes comme à plaisir. On dédaignait les fonctions municipales. On eût rougi, dit Plutarque, de prendre à ferme la levée de l’impôt ; mais on mettait son honneur à mendier dans les antichambres soit quelque vaine marque de distinction, soit un office grassement rémunéré. Chose plus triste, afin de brusquer la fortune en donnant au pouvoir des gages éclatans, on effaçait les traces de son origine provinciale, on reniait le nom grec de ses pères et l’on prenait un nom latin. Ainsi s’évanouissait peu à peu tout ce qui aurait pu prolonger et fortifier l’existence distincte et personnelle des cités ; tout affluait à la tête, tandis que les membres atrophiés se mouraient.

Où donc était passée l’énergie du peuple grec, féconde en belles actions et en œuvres merveilleuses ? Elle était devenue ce que deviennent les facultés humaines quand elles se détournent des grands devoirs. Une agitation stérile et misérable avait remplacé la vie puissante d’autrefois. À Chéronée en particulier, la cité avait disparu, et la petite ville survivait seule. Pour repousser les vices médiocres et les passions ridicules qui s’y livraient bataille, Plutarque les a décrits, et ces descriptions, qui ne sont point des peintures arrangées, comme les portraits de Théophraste et de La Bruyère, mais bien d’exactes images de la réalité, ont une précieuse valeur historique. On y trouve reproduits d’après le vif quelques frappans aspects de la petite ville gréco-romaine à la fin du premier siècle. Le moraliste y fait passer sous nos yeux la fureur des procès, la fièvre du luxe, la passion du jeu, les haines violentes allumées à propos d’un combat de chiens, de cailles ou de coqs, ou à l’occasion d’un logement qu’on se dispute aux bains de mer. Il y étale toutes les infirmités morales qu’il déplorait et qu’il voulait guérir. Quelques-unes de ces peintures ont un relief plein de vigueur. Par exemple, la plaie de l’usure qui rongeait les faux riches de Chéronée est dévoilée sans pitié. Dans son indignation, Plutarque flagelle d’abord les avides banquiers de Patras, de Corinthe et d’Athènes, qu’il accuse d’entretenir et de propager « cette gangrène. » Il prend ensuite à partie l’emprunteur lui-même, obligé d’abdiquer, de se dépouiller, de se vendre, et s’enfonçant toujours de plus en plus dans son bourbier. On attente à sa liberté, dit Plutarque ; on le couvre de honte ; il est l’esclave des esclaves qui, plus insolens encore que les maîtres, s’assoient à sa table malgré lui, le pillent et l’abreuvent d’outrages. — Ces couleurs sont vives, moins vives cependant que celles dont le philosophe se sert pour peindre une sorte de bavard indiscret que de nos jours on nommerait le