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le présent, dont elle jouissait. Elle ne tarda pas à goûter pour son propre compte les fruits du régime rétabli ; sa famille y retrouva les faveurs de la cour ; son père, le marquis d’Osmond, fut nommé ambassadeur d’abord à Turin, puis à Londres ; il occupa ces grands postes de 1814 à 1819. Médiocre et insignifiante sans être exigeante ni incommode, ce qui est rare, la marquise d’Osmond, sa femme, tenait peu de place dans la maison ; à côté de son père, qu’elle aimait tendrement, la comtesse de Boigne fut la véritable ambassadrice, et elle rentra avec les biens du rang et de la fortune dans cette société anglaise où naguère elle avait vécu exilée, isolée, presque pauvre, obligée de puiser dans ses mérites personnels toute la sûreté et tout l’agrément de sa vie.

Elle eut autant de succès dans la grande que dans la mauvaise fortune — un succès plus difficile peut-être, car les tentations de l’ambition, et de l’amour-propre y étaient bien plus vives ; mais Mme de Boigne savait contenir les tentations qui auraient pu devenir des périls ; elle n’avait pas ces instincts supérieurs et lumineux, ces élans de l’esprit et de la conduite, qui portent quelquefois une femme au-delà de sa sphère naturelle, et lui donnent cet ascendant de société dont la princesse de Lieven, ambassadrice de Russie à Londres à cette même époque, était alors un brillant exemple. Exempte de toute rivalité imprudente, la comtesse de Boigne ne rechercha rien de semblable ; elle suffit habilement, dans l’intérêt de son père et de sa cour, aux devoirs et aux convenances de sa situation ; elle se contenta d’y suffire. Réussir sans se compromettre, c’était en toute occasion son dessein, son art et le gage comme la limite de ses succès.

Mais sa fortune diplomatique fut courte. En 1819, son père, vieux et malade, donna sa démission de l’ambassade de Londres, et se retira dans la chambre des pairs, où le roi Louis xviii l’avait appelé dès 1815 ; Mme de Boigne tenta, mais en vain, d’obtenir pour lui le cordon bleu, et sans ambition mécontente, sinon peut-être avec un peu d’humeur, elle reprit à Paris sa vie de spirituelle et attrayante maîtresse de maison. Elle en retrouva sans peine les agrémens : des femmes du monde élégant, des hommes d’esprit et de rang, diplomates, militaires, administrateurs, lettrés, se réunissaient dans son salon, divers d’opinion comme de situation, mais acceptant mutuellement leur libre langage sur les événemens, les questions, les discours, les écrits qui occupaient vivement alors la société française, délivrée des fardeaux du pouvoir absolu et de la guerre, et empressée à jouir de sa propre activité et de ses féconds loisirs. Mme de Boigne était ainsi, et on était chez elle au courant de toutes choses, des petits incidens du monde comme des bruits confiden-