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tiels, du mouvement intellectuel comme des affaires publiques, et on s’entretenait de toutes choses avec cette liberté intelligente et polie qui fait le charme de la vie sociale.

Mme de Boigne portait dans cette vie à la fois l’indépendance et la prudence de son esprit et de son caractère. Son salon n’était nullement un salon d’opposition, ce n’était pas non plus un salon de cour ni de ministère ; elle aimait la restauration, mais elle l’observait et elle la jugeait, comme elle avait observé et jugé l’empire, avec une impartialité clairvoyante. Elle avait acquis, dans les épreuves de l’émigration et dans les soins de la diplomatie, un tact politique qui lui faisait reconnaître les fautes et pressentir les périls des gouvernemens comme des partis. Dès 1814, elle avait été frappée du contraste profond entre les deux Frances appelées à vivre ensemble, la France de l’ancien régime et la France de la révolution. Ce n’était pas seulement à l’occasion des grandes questions politiques et dans les conflits publics entre le gouvernement royaliste et l’opposition libérale ou révolutionnaire que Mme de Boigne puisait ses pressentimens ; elle remarquait surtout avec inquiétude les difficiles relations sociales des personnes qui appartenaient à des temps et à des régimes divers, le désaccord permanent de leurs tendances, de leurs goûts, de leurs prétentions, leurs petits et continuels chocs ou déplaisirs mutuels. Elle voyait là deux sociétés aussi méfiantes que différentes, et elle ne voyait au-dessus d’elles point de pouvoir assez fort pour imposer ou assez habile pour amener le support réciproque, en attendant que le temps amenât la paix. Napoléon et Henri IV manquaient également à cette difficile et périlleuse situation.

Précisément à cette époque, au milieu de ces troubles du présent et de ces obscurités de l’avenir, Mme de Boigne retrouva et renoua les liens d’amitié intime et confiante qui, plus de trente ans auparavant, s’étaient formés à Naples entre elle et la princesse Marie-Amélie, devenue duchesse d’Orléans. Aucun calcul, aucune vue ne se mêlaient à cette relation, résultat naturel du passé et des sentimens spontanés et fidèles que se portaient les deux personnes.

La révolution de 1830 ne surprit donc guère Mme de Boigne ; elle s’attendait aux fautes du pouvoir et aux conséquences des fautes. Elle s’affligea et s’inquiéta de l’événement ; mais la consolation ne lui manqua point. En même temps qu’elle voyait tomber un passé qui convenait à ses habitudes et à ses goûts, elle vit apparaître un avenir qui lui offrait des satisfactions et des espérances, non pour des désirs d’ambition ou de faveur qu’elle n’avait point, mais pour une sécurité publique et personnelle à laquelle elle tenait beaucoup. Ses relations avec la reine Marie-Amélie étaient aussi