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quatre frères qu’ils eussent à quitter la prison pour venir s’expliquer avec lui. « Non, répondirent-ils au messager, nous ne sortirons pas, c’est à l’évêque de s’expliquer ici devant nous ! »

La situation devenait embarrassante. Théophile fit jeter de force dans la rue les récalcitrans, et l’explication eut lieu plus tard, quand ceux-ci le jugèrent convenable. Elle eut toute la véhémence que le début promettait. Humiliés d’avoir été traités comme des malfaiteurs à la vue de toute une ville, les Longs-Frères, sans méconnaître le respect dû à leur évêque, firent entendre des paroles telles que les pouvaient trouver des hommes sûrs de leur conscience et qui ne craignaient au monde que Dieu. Ammonius, leur interprète ordinaire, s’exprimait avec calme et dignité, déduisant les raisons de leur démarche et faisant ressortir la conduite infamante de l’archevêque ; mais, tandis qu’il parlait, Théophile, changeant de visage à chaque mot, tantôt pâlissait, tantôt rougissait, et une colère fiévreuse éclatait dans ses yeux. Enfin, n’y tenant plus, il se précipite sur le moine, lui serre le cou avec son manteau, comme s’il voulait l’étrangler, et, lui coupant d’une main la respiration, il le frappe de l’autre au visage avec tant de brutalité que le sang lui sortit en abondance de la bouche et du nez. Tout en frappant, il criait d’une voix irritée : « Hérétique que tu es, anathématise Origène ! » Ce nom, prononcé entre eux pour la première fois comme un chef d’accusation, laissa les Longs-Frères ébahis. C’était là toute l’explication que Théophile voulait avoir. Appelant alors à son aide une troupe de soldats, il ordonna qu’on mît aux fers les quatre moines et qu’on les ramenât dans cet équipage jusqu’à Nitrie. L’histoire ajoute, mais on aimerait à en douter, que l’archevêque riva de ses mains le carcan au cou d’Ammonius.

Lorsqu’on vit arriver aux monastères ces malheureux sous escorte et traînant leurs chaînes, la communauté fut en grand émoi. « On se demanda, dit le contemporain que nous suivons dans ces récits, quelles épreuves et quels châtimens Dieu réservait aux enfans de la pénitence. » On ne tarda pas à le savoir. Un mandement épiscopal arriva bientôt, déplorant la perversion de la foi à Nitrie, et ordonnant que tout ce qu’il y avait dans les monastères et les cellules de livres d’Origène et de ses fauteurs y fût immédiatement brûlé ; que si, ajoutait le mandement, l’exécution du présent ordre éprouvait des oppositions ou des retards, le patriarche viendrait en personne le faire exécuter devant lui. Les solitaires comprirent la menace cachée sous ces paroles. C’est aux abbés surtout qu’en voulait Théophile, comme à des hommes plus instruits, plus indépendans que les simples cénobites, et c’est à eux que s’adressait l’avertissement. Par promesse et argent, il avait organisé dans ces honnêtes et saints asiles, honorés dans tout le monde sous le nom