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de prévoir pour son pays des destinées meilleures. La folie, la guérison, le suicide du comte Széchenyi, telles sont les trois phases de cet épisode où se reproduit avec une fidélité dramatique une des plus douloureuses périodes du XIXe siècle.


I

Le comte Stéphan Széchenyi était entre le 23 mars 1848 dans le ministère que présidait le comte Louis Batthiany. La formation de ce ministère avait été un des premiers résultats des événemens de février ; le ministère Batthiany était responsable de ses actes, le régime parlementaire commençait pour la Hongrie. Il y avait dans ce seul programme toute une révolution. On a vu par la première partie de notre étude quel avait été jusque-là le rôle de Széchenyi dans la transformation politique et sociale de son pays. Persuadé que l’histoire de l’humanité a ses lois et qu’on ne les enfreint pas impunément, il répétait sans cesse que les réformes logiquement accomplies étaient les seules durables. Par quel privilège, disait-il, la Hongrie pourrait-elle passer sans transition du régime féodal au régime parlementaire ? Avant de réclamer des libertés qui tourneraient contre le salut commun, il fallait détruire les abus de l’ancien monde. La revendication des libertés politiques entraînerait infailliblement une lutte avec l’Autriche, et quelle serait l’issue de cette lutte ? Une issue désastreuse, quel que fût le sort des armes. Vaincus, les Magyars retomberaient sous le joug déjà plus qu’à demi brisé, et cette vie nouvelle qui s’éveillait en eux serait pour longtemps arrêtée ; vainqueurs, ils subiraient les entraînemens du triomphe, ils rompraient tout lien avec l’Autriche, et attireraient sur eux les représailles de l’avenir, car l’Autriche, — c’était la foi du comte Széchenyi, — est aussi nécessaire à la Hongrie que la Hongrie est nécessaire à la dynastie des Habsbourg. Aucun de ces dangers n’était à craindre, si la renaissance hongroise suivait son développement régulier. Remplacer le vieux magyarisme par l’esprit moderne, détruire les privilèges, fonder l’égalité, provoquer le travail, donner l’essor à toutes les forces de la nation, telle était la tâche que le comte Széchenyi jugeait la seule légitime, la seule féconde, dans l’état où se trouvait son pays. Ce système, avec tous les développemens qu’il embrasse, avait été la pensée constante de sa vie ; il y avait bientôt un quart de siècle qu’il travaillait à cette régénération du peuple magyar, et déjà la plupart de ses idées avaient pris racine dans le sol malgré la résistance des magnats et les impatiences des tribuns. Débordé sur plusieurs points par les passions révolutionnaires, il ne désespérait pas de les vaincre, quand