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aujourd’hui, par un des hauts employés du ministère, et que M. de Bach lui-même avait revu et corrigé. Affirmer que la Hongrie avait gagné à ce régime oppressif, c’était provoquer des contradictions accablantes. L’auteur ne cherchait pas le scandale ; il voulait surtout rassurer la conscience du souverain, car François-Joseph commençait à se demander si la politique suivie par ses ministres n’était pas le chemin de la ruine, et le mémoire de l’anonyme n’était en réalité que la justification de M. de Bach. Voilà pourquoi ces assertions hasardeuses, prudemment soustraites à la publicité, ne devaient être lues que dans un cercle choisi ; mais on a vu déjà que rien n’échappait au prisonnier, de Döbling. Pouvait-il laisser sans réplique une telle apologie, lui qui appelait de ses vœux impatiens l’heure où le jeune et loyal souverain serait enfin détrompé ? Pour confondre le mensonge, il n’avait qu’à rassembler ses notes. Chaque jour, à chaque preuve nouvelle de l’imprévoyance des gouvernans, à chaque nouvelle conséquence du système qui étouffait les forces de l’empire, Széchenyi notait le symptôme et le commentait en quelques lignes. La réfutation se faisait ainsi d’elle-même. C’était l’histoire au jour le jour ; ici des traits de feu, là des sarcasmes, souvent même, trop souvent, des caricatures, des bouffonneries à faire rire et pleurer. N’écrivant d’abord que pour se soulager, l’auteur ne se gênait guère, et les pensées les plus nobles éclataient en gros mots. Le livre imprimé à Londres en 1859 n’est autre chose que le recueil de ces notes. On devine ce que peut être un pareil ouvragé. Les uns l’ont jugé peu digne du grand Magyar, les autres ont vu dans cet incroyable mélange de cris de douleur et de facéties, de noblesse et de grossièreté, non-seulement une des œuvres les plus originales du vieux patriote, mais une image effroyablement ressemblante (entsetzlich Zutreffend) de l’Autriche sous la réaction. L’éditeur, personnage fictif, dit très bien dans la préface : « Quand je vis l’auteur pour la dernière fois, il pleurait sur le sort de son pays. — Prenez, me dit-il, « es aphorismes incohérens tels que je les ai jetés sur le papier au milieu des tortures de mon âme et aussi quelquefois sous le vague sourire d’un rayon d’espérance. — Maintenant, quand je juge ce livre en son ensemble, je trouve dans les pages mêmes qui d’abord m’avaient semblé triviales l’expression de la plus profonde douleur, car la douleur voisine du désespoir s’exprime aussi bien par de folles bouffonneries que par des plaintes acerbes. » C’est le jugement de Széchenyi sur son œuvre.

L’inspiration fondamentale de ces pages, le sentiment qui en rachète les trivialités, c’est une colère sainte contre les hommes qui ont condamné la Hongrie à mort. Pour les renverser, si cela est possible, toutes les armes lui sont bonnes. « Que de fois, dit