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que temps dans le canton de Scythopolis, au pied des montagnes de Galilée où ils trouveraient des palmiers en assez grande abondance pour y travailler et vivre à l’aise du produit de leurs nattes. Jean allait consentir, lorsqu’arriva d’Alexandrie une lettre qui refroidit ses bonnes intentions ; elle était du patriarche et portait ces mots : « Tu ne devais pas, contre ma volonté, recevoir dans ta ville les moines de Nitrie, car je les ai chassés pour leurs crimes. Toutefois, si tu ne l’as fait que par ignorance, je te le pardonne. Aie soin désormais de ne plus communiquer avec des gens que j’ai excommuniés, et garde-toi de leur accorder ni fonctions ecclésiastiques, ni lieu de résidence dans ta juridiction. »

« Si Théophile ne se disait pas Dieu dans son insolent monitoire, observe à ce sujet l’auteur contemporain qui nous a transmis cette lettre, assurément il s’imaginait bien l’être pour oser s’exprimer ainsi. » La lettre d’ailleurs n’était pas destinée qu’au seul Jean de Jérusalem ; c’était une circulaire à tous les évêques de Palestine qui s’étaient montrés quelque peu charitables et hospitaliers envers les exilés d’Égypte. Cette persécution sous toutes les formes s’appelait, dans le langage des amis de Théophile, « la chasse aux basilics. »

La Palestine était donc fermée aux Longs-Frères et à leurs compagnons ; la Syrie le devait être également, tant on craignait tout froissement avec ce dangereux voisin. Convaincus de leur malheureux sort, ils n’eurent plus qu’un désir, celui de gagner au plus tôt Constantinople, et de se mettre sous la protection d’un évêque aussi puissant que Chrysostome. Un des ports de la côte, Césarée ou Joppé, leur fournit le navire dont ils avaient besoin, et ils arrivèrent sans encombre dans la ville impériale, où leur apparition causa une certaine surprise. Sans doute on voyait fréquemment dans la grande cité byzantine, rendez-vous de toutes les curiosités orientales, des moines de tout costume et de toute nation : arabes, syriens, cappadociens, persans ; mais ceux des solitudes d’Égypte étaient rares, et l’on parlait de Nitrie et de Scété comme d’un pays presque fabuleux. La présence de ces moines était une nouveauté, leur costume aussi frappa singulièrement les regards. Ils avaient les jambes et les bras nus, et portaient pour tout vêtement ces peaux d’agneaux du désert, à la toison fine et blanche, qu’on appelait melothê. De quatre-vingts qu’ils étaient partis d’Égypte, ils n’étaient plus maintenant que cinquante, la fatigue et la misère ayant moissonné le reste, et eux-mêmes, malgré leur forte constitution, présentaient des corps exténués et des visages où l’angoisse du malheur était empreinte. Après s’être reposés sur le port, ils se formèrent en troupe, Isidore et les Longs-Frères tenant la tête, et ils se dirigèrent vers l’archevêché, où les Longs-Frères entrèrent seuls.