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meurt de consomption, ces mots ont un autre sens. Laissons aux premiers le bénéfice de leur ignorance privilégiée. Donc Madeleine se mourait, et ne l’ignorait point. Sa conviction à cet égard n’était ni très positive ni toujours pressante et poignante. Elle ne se l’appliquait pour ainsi dire point, et ne lui donnait en général qu’une portée en quelque sorte objective, la laissant peser vaguement sur un avenir nuageux dont elle ne sondait pas volontiers les ténèbres ; mais de temps en temps, comme par éclairs, la terrible vérité se dressait devant elle, et, pour se faire mieux comprendre, groupait toutes les forces intellectuelles et physiques de la jeune malade. Celle-ci alors acquérait pour un moment l’idée nette de sa situation, sans velléité de résistance, sans murmure, sans appel à Dieu, avec un acquiescement paisible, une résignation presque satisfaite, surtout un calme profond. Comme les jeunes personnes de son âge, elle n’avait que des notions bien confuses du souverain Être et de l’éternité future ; mais on l’avait dressée de bonne heure aux strictes observances de l’église épiscopale écossaise, qui avaient développé en elle un penchant à la dévotion naturel aux jeunes filles douées à la fois d’une âme pure et de goûts raffinés. Peut-être n’avait-elle pas sérieusement réfléchi une seule fois aux grands problèmes de la vie et de la mort ; en revanche et grâce à ses lectures, les côtés poétiques par lesquels ils s’imposent au sentiment lui étaient devenus familiers. D’ailleurs une voix secrète murmurait au fond de son cœur virginal, et, durant les longues heures de souffrance troublée, lui avait fait entendre — bien bas — de très solennelles, de très imposantes vérités. En l’écoutant, elle se calmait. Les chaînes terrestres qui pour quelque temps encore tenaient dans un dernier repli ce corps gracieux s’étaient détachées de la belle âme choisie pour l’habiter. Madeleine avait cherché, avait cru trouver dans sa vie le dessein du Créateur qui la lui avait donnée. Tranquille désormais, elle attendait le moment où il la rappellerait à lui.

Un jour qu’elle s’était endormie sous les yeux de Wilmot après un terrible accès d’étouffement, le malheureux vit passer devant lui tous les souvenirs de Kilsyth. Immobile, silencieux, les mains serrées l’une dans l’autre, il sentait se déchaîner au dedans de lui un terrible orage. Chaque vision nouvelle, — des scènes insignifiantes, une parole, un geste, un regard, — le jetait dans des transports qu’il ne pouvait s’expliquer. Comme pour y échapper, il se réfugia dans un doute absolu. Rien de tout cela n’était réel. Il n’avait pas en ce moment sous les yeux cette même Madeleine qui occupait sa pensée… Non, ce visage atténué, cette chevelure plaquée sur un iront moite, ces pommettes marbrées de taches rouges, ces lèvres arides, ces tempes creuses, ces paupières assombries, non, ce n’était pas la charmante fille de l’heureux Kilsyth… Comme pour