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« Comment n’êtes-vous pas rassurés, répondait M. Deák, par cette pensée que l’Europe reconnaît l’empire d’Autriche comme une partie essentielle de son système politique ? Pour ma part, ma raison se refuse à croire à la chute de cet empire lorsque je vois le monarque qui le dirige chercher le plus ferme appui de son trône dans la liberté constitutionnelle et dans la confiance de ses peuples. D’ailleurs est-ce affaire à la politique de négliger le présent et de s’attacher à des éventualités douteuses ? Je crois que la chute de la monarchie autrichienne serait une catastrophe pour la Hongrie ; mais, si elle doit venir, je voudrais du moins que notre organisation intérieure comme état fût assez vigoureuse pour que nous puissions être le centre d’une nouvelle formation politique. Tout en ayant le sentiment de la force et de la vitalité de la race magyare, la raison politique nous commande de reconnaître qu’à nous seuls nous ne pourrons jamais former un état indépendant isolé du reste de l’Europe. Que serait une Hongrie sans alliés sûrs, pressée entre le colosse russe et le futur et très puissant empire d’Allemagne ? Il faudra toujours que nous prenions place dans une confédération d’états, de sorte que, quoi qu’il arrive, nous serons toujours obligés d’avoir des affaires communes avec d’autres groupes politiques, et personne ne pourra soutenir que nous seuls pourrons traiter de ces affaires communes, et qu’on pourra arriver à s’entendre sans nommer de part et d’autre des délégués.


Il n’est pas de pays où les orateurs de la gauche ne fassent appel au sentiment public, et dans les grands débats du parlement hongrois ils ne manquèrent pas à cette tactique. M. Deák ne nia point l’irrésistible puissance de l’opinion, mais il ajouta :


« J’ai assez vieilli dans les affaires pour apprendre combien il est difficile de distinguer la véritable opinion publique. Prenons garde de nous tenir trop étroitement à l’opinion de ceux que nous voyons autour de nous. Réfléchissons que le peuple qui nous a envoyés ici pour trancher les questions constitutionnelles a voulu que nous lui indiquions la voie, et non pas que nous allions en chaque circonstance chercher ses avis. Les hautes questions de droit public et de législation que nous avons à trancher ne sont pas à la portée de tous, et nous demeurons fidèles à notre mandat en nous efforçant de les trancher de la façon la plus convenable pour les intérêts du peuple. Ce serait les mal servir que de rejeter le compromis proposé aujourd’hui pour le vague espoir d’obtenir mieux par quelque bouleversement inattendu de la politique européenne. On nous dit : Mais ce n’est pas là la politique du droit strict ; c’est celle de l’opportunité. Oui, j’en conviens. Nous consultons l’opportunité ; je n’hésite pas à dire que le premier devoir d’un