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la Transylvanie a été le théâtre d’une guerre civile sanglante entre les Magyars et les Roumains. A deux reprises, son territoire fut occupé par les troupes russes. A la suite de ce bouleversement, elle se vit ravir la meilleure partie de ses franchises municipales ; mais du moins ceux qui l’administrèrent lui offrirent en compensation des écoles et de larges routes à travers les districts les plus peuplés de son territoire. On avait compris à Vienne l’immense parti qu’il y avait à tirer de la position magnifique de cette principauté, sorte de forteresse naturelle d’où une armée bien dirigée peut en quelques heures couper les Russes de leur base d’opérations le jour où leurs armées marcheraient sur Constantinople, et on agissait sagement en cherchant à relever la race roumaine de son long abaissement.

La Transylvanie se partage en trois races qui vivent encore presque aussi isolées les unes des autres qu’au moyen âge. Il y a là 1,700,000 Roumains ou Valaques dont l’émancipation sociale ne remonte pas à vingt ans, et dont les suffrages ne sont comptés que depuis six ans : peuple pauvre, sans aristocratie, sans hommes d’état et encore à beaucoup d’égards sous la dépendance des Magyars et des Saxons, qui les emploient et les paient. Grecs du rite uni et non uni, ils ne connaissent la liberté religieuse que depuis peu d’années. Leurs popes, aussi misérables qu’eux, accessibles aux séductions de l’or russe, osaient à peine autrefois se montrer en public, et il fallait un privilège impérial pour obtenir le droit de construire une église grecque. Aujourd’hui au contraire le gouvernement fait beaucoup pour le clergé. Il a souvent appelé à Vienne le métropolitain grec d’Hermannstadt, le remuant évêque Schaguna, et il a facilité autant qu’il dépendait de lui l’affranchissement du lien qui rattachait les Roumains grecs au patriarcat religieux serbe de Carlowitz. Les Roumains du rite grec réunis à Rome n’ont d’église constituée que depuis 1853. Les favoriser, mettre à leur tête un archevêque capable eût été d’une excellente politique pour résister au travail souterrain de la propagande moscovite ; mais par malheur les efforts du gouvernement avaient échoué jusqu’ici contre l’incapacité de l’archevêque catholique grec, Mer Schulutz, mort il y a quelques jours, si bien que le chef politique incontesté de la race roumaine en Transylvanie est Mgr Schaguna. On dirait que la Providence s’est plu à accumuler sur ce coin de terre toutes les bigarrures de race et d’institution. A côté des Roumains, les Saxons de la foi luthérienne, débris d’une puissante émigration du XIIIe siècle, vivent entre eux, jaloux à l’excès des privilèges qu’ils ont su obtenir des princes de la maison d’Autriche, riches, économes, laborieux, et cependant perdant chaque année du terrain par leur persistance