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la connaissance de l’allemand, il était déjà trop tard pour essayer de germaniser la Bohême.

Un grand mouvement littéraire était alors à son aurore en Allemagne, et par contre-coup l’émulation renaissait chez les Tchèques, qui, eux aussi, commençaient à fouiller les monumens du passé. Les guerres de la révolution et de l’empire vinrent retarder, il est vrai, ce développement du mouvement national ; mais en 1820 la Bohême était revenue au culte de ses gloires hussites. On y avait fondé un musée, une académie des sciences, une société pour la diffusion des bons livres en langue tchèque. Ce mouvement ne tarda point à se personnifier dans trois hommes : l’érudit slovaque Saffarik, auteur d’un livre sur les antiquités slaves qui résume tout ce que l’on sait des origines des Slaves, le Morave Kollar, auteur du poème Slavy Decra, peintre expressif des joies et des douleurs de ses compatriotes, enfin M. Palaçky, l’historien de la Bohême, l’interprète des manuscrits nationaux, décoré du surnom de père des Slaves, esprit contemplatif, caractère honorable, mais facile à entraîner, qui est en train de démentir par le trop grand empressement qu’il témoigne à la Russie son mot célèbre de 1848 : « si l’Autriche n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Au sein d’un peuple à l’imagination vive, ce mouvement littéraire ne pouvait tarder à devenir politique. Les yeux fixés sur leur ancienne splendeur au moyen âge, les Tchèques se persuadèrent aisément qu’ils avaient une mission à remplir parmi les Slaves de l’empire. Leur opposition aux Allemands prit un caractère très sérieux lorsque Vienne tomba aux mains des révolutionnaires, et lorsque l’empereur Ferdinand souscrivit à l’incorporation de la Bohême au territoire du futur empire germanique. La politique hésitante du cabinet autrichien, qui tantôt encourageait, tantôt réprimait sévèrement les aspirations des Tchèques, l’ingratitude dont il paya le dévouement de ces derniers, dévouement presque égal à celui des Croates, finirent par creuser un abîme entre la race allemande et la race slave. Le désaccord devait éclater dès les premiers mots qu’on prononcerait de part ou d’autre. Lorsqu’en 1861 M. de Schmerling eut imaginé son reichsrath central, la diète provinciale qui se réunit à Prague se sépara nettement en deux fractions. Tous les députés d’origine tchèque protestèrent contre la loi électorale en vertu de laquelle la diète avait été élue. Ils réclamèrent pour la Bohême le self-government, et ne jugèrent à propos de paraître au reichsrath que pour y réclamer l’autonomie de la Bohême et les droits de la couronne de saint Wenceslas. Ils furent résolument appuyés contre M. de Schmerling par les grandeurs déchues de l’époque réactionnaire. Le comte Thun et ses amis voulaient