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Palestine, par centaines de milliers, avaient péri par l’épée, la famine ou la peste ; beaucoup d’autres, pour le moins aussi nombreux, étaient réduits à l’esclavage, envoyés dans les mines, jetés dans d’infâmes lupanars ou livrés dans les cirques aux bêtes fauves pour le divertissement d’une plèbe plus cruelle que les bêtes. Pour comble de découragement, les signes de dissolution qui à la fin du règne de Néron semblaient menacer l’empire, avaient fait place à des indices tout différens. La main vigoureuse de Vespasien avait rassemblé les rênes éparses de l’attelage des nations, et le char impérial marchait de nouveau avec la régularité et la sécurité des premiers jours. Jamais les Juifs ne purent s’imaginer que Titus eût été un seul instant les délices du genre humain. Ils savaient trop bien à quoi s’en tenir sur la clémence de cet imperator, à qui peut-être le temps seul a manqué pour devenir un second Néron. Ils ne rappelèrent habituellement que Titus rascha, Titus le scélérat, et une très vieille légende juive prétend qu’en punition de ses forfaits il fut tourmenté par une mouche qui pénétra dans son cerveau, s’y logea, grandit, et ne lui laissa de repos ni jour ni nuit jusqu’à ce qu’elle eût causé sa mort.

Il est vrai que, pour les Juifs, les Flaviens eurent la main très lourde. Ils avaient pu mesurer l’incroyable force de résistance de ce peuple. Les dernières convulsions de la nationalité vaincue furent comprimées en Judée par d’affreux massacres. Il en fut de même en Égypte, où le temple d’Onias, construit au temps de l’oppression syrienne comme une succursale de celui de Jérusalem, fut détruit par ordre impérial, et dans la Cyrénaïque, où les débris des zélotes levèrent encore une fois l’étendard du judaïsme belliqueux. En même temps Vespasien, qui aimait l’argent, trouva spirituel de prélever au profit de Jupiter Capitolin la taxe personnelle du didrachme (environ 1 franc 75) que tout Juif fidèle était tenu d’envoyer chaque année au temple de Jéhovah. C’était de bonne guerre : le dieu vainqueur s’appropriait les revenus du dieu vaincu. Seulement ce dernier, du moins hors de Palestine, ne les faisait pas rentrer par la force, tandis que le fiscus judaïcus (ainsi s’appela cet impôt spécial) fut très rigoureusement exigé. Il s’y joignit une humiliation d’un genre particulier. Les Juifs dispersés dans l’empire tâchaient d’échapper autant qu’ils pouvaient à cet impôt, qui était à leurs yeux non-seulement une exaction, mais un sacrilège. Beaucoup dissimulèrent leur origine. Pour déjouer les fausses déclarations, le fisc romain imagina des perquisitions individuelles d’une révoltante indécence. Ce fut surtout Domitien qui prit plaisir à cette vexation. Suétone se rappelait avoir vu dans sa première enfance un pauvre vieux Juif soumis publiquement à cette ignoble investigation.