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au-dessus de Moïse et lui attribuaient des prérogatives quasi divines. Tout doucement ils se sentaient aussi rapprochés des gentils, qui croyaient comme eux en Jésus-Christ sans s’astreindre aux mille observances de la loi, que de leurs compatriotes, qui ne savaient voir en Jésus qu’un imposteur ou un fou. Une rupture était donc inévitable. Les rigueurs du fîscus judaïcus sous Domitien durent la favoriser, et on voit en effet que vers ce temps-là le judœo- christianisme se relâche sur l’obligation de la circoncision et quelques autres marques distinctives du judaïsme orthodoxe.

Vers le même temps aussi, le sanhédrin procède contre les minim, — c’est le nom des Juifs chrétiens dans le Talmud, — c’est-à-dire contre les dégénérés. R. Tarphon n’y allait pas par deux chemins pour les condamner. « Les Évangiles, disait-il, et tous les livres des minim mériteraient d’être brûlés, car le paganisme est moins dangereux ; celui-ci méconnaît par ignorance les vérités du judaïsme, les minim les renient en pleine connaissance de cause. Il vaut mieux chercher un refuge dans un temple païen que dans les synagogues des minim. » Le sanhédrin de Jamnia enjoignit donc aux Juifs fidèles de se conduire avec les Juifs chrétiens comme avec des païens, leurs écrits furent assimilés aux livres de sorcellerie, une formule d’imprécation (birchat ha-minim) fut même insérée à leur adresse dans la prière quotidienne. Aussi n’est-il pas étonnant que les Juifs chrétiens n’aient point sympathisé avec la révolte de Bar-Kochba, et aient eu à souffrir sous le régime de ce dictateur momentané. La séparation depuis lors fut irrévocable et absolue. La haine mutuelle s’envenima, et, ne pouvant susciter de persécutions en règle, elle se dédommagea par des tracasseries dont il faut citer un exemple.

Une des prérogatives du sanhédrin et l’un des moyens dont le patriarche se servait pour relever son autorité, c’était la fixation du calendrier et la publication des grandes fêtes religieuses consacrées par la loi et la tradition. L’année Israélite était lunaire. Les jours de fête étaient calculés d’après leur rapport avec la nouvelle lune. De vieux usages remontant à l’époque où l’on ne savait pas supputer d’avance les phases de cet astre et les dates qui en dépendent voulaient que l’apparition de la nouvelle lune fût annoncée au patriarche par des témoins oculaires postés en prévision de l’événement. Ce témoignage une fois reçu avec des formalités destinées à en garantir la sincérité, le patriarche en informait le sanhédrin et les synagogues voisines. Quant aux synagogues éloignées, un système ingénieux de signaux ignés, se répétant indéfiniment le long des montagnes, portait pendant la nuit le message du sanhédrin jusque dans les régions lointaines de Tadmor, de