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l’Asie-Mineure et de l’Euphrate. Il y avait dans ce système quelque chose d’antique et parlant aux imaginations ; les haines religieuses provoquées par l’intolérance rabbinique ne permirent pas la continuation de cette poétique télégraphie, Il paraît qu’à plusieurs reprises les judœo-chrétiens et les Samaritains s’amusèrent à contrefaire les signaux du sanhédrin, et réussirent à tromper les populations juives de Syrie et de Babylonie, qui célébrèrent de grandes fêtes à contre-temps. Les patriarches se virent donc forcés de dresser d’avance le calendrier religieux pour l’année et de le confier à des messagers spéciaux. Plus tard ils durent même en venir à publier les calculs qui permettaient à chacun de le fixer soi-même. Ce fut un grand coup porté au prestige et à l’autorité du patriarcat.

Cela toutefois n’eut lieu qu’au IVe siècle. Jusque-là, le patriarcat réussit assez bien à réaliser une sorte de papauté juive. A Simon, fils de Gamaliel II, succéda son « fils R. Juda ben-Simon (170-215), qui transféra le sanhédrin à Sipporis, en s’adjugeant le droit de nommer d’office à tous les emplois judiciaires et religieux dans les communautés juives[1], les richesses, qui étaient grandes, lui servirent surtout à consolider son autorité, dont il se montrait fort jaloux. Le Talmud a conservé plusieurs traits attestant son extrême susceptibilité et la dureté avec laquelle il procéda contre les velléités indépendantes de quelques rabbins. Cela n’empêcha pas, ou pour mieux dire peut-être, cela fit que son nom passa à la postérité avec l’épithète de saint. R. Juda le Saint est un des grands architectes du judaïsme talmudique. C’est lui qui jeta les fondemens de cet énorme édifice en fixant une fois pour toutes la mischna ou seconde loi, exposée jusqu’à lui à l’instabilité d’une transmission purement orale. Ce fut une innovation décisive que ce recours à l’écriture. La mischna, codifiée par lui, devint un texte pour ainsi dire stéréotype, ajouté au texte biblique et donnant lieu à son tour comme celui-ci à toute sorte de commentaires et de développemens au sein des écoles rabbiniques. Il fut entendu, malgré l’absurdité d’une pareille prétention, que cette tradition orale remontait jusqu’à Moïse lui-même, qui l’avait confiée à Josué, celui-ci aux anciens de son temps, ces derniers aux prophètes, qui l’auraient finalement transmise aux scribes, La mischna de Juda le Saint, reproduite tout au long dans le Talmud, constitue donc la base, le point de départ et la substance de la compilation totale, et l’autorité en est regardée comme indiscutable dans le judaïsme orthodoxe. Elle fut transmise aux Juifs de Babylonie par les disciples

  1. Partout où ils pouvaient matériellement le faire, les Juifs conservaient leur droit national au civil et au criminel.