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célébré à cause de tes bienfaits, car il en résulte qu’on loue Dieu seulement pour le bien et non pour le mal comme pour le bien. Quant aux paroles : jusqu’au nid de l’oiseau s’étend ta miséricorde, pourquoi impose-t-on silence à celui qui les prononce ? Sur cette question, deux amoras d’Occident, R. José ben-Abin et R. José ben-Sabida, diffèrent. L’un disait : Parce que par là on provoque la jalousie parmi les autres créatures ; l’autre disait : Parce que par là les volontés du Saint, que son nom soit béni ! sont représentées seulement comme miséricordes, tandis qu’elles ne sont que commandemens. »


La gémare continue sur le même ton, racontant comment R. Chanina n’aimait pas que l’on fît dans la prière une trop longue énumération des perfections divines et pensait que la crainte de l’Éternel est la seule chose que l’homme doive offrir à Dieu, et cela suivant une tradition garantie par R. Siméon ben-Jochaï, tandis que R. Seïra et Rab-Papa n’étaient pas tout à fait d’accord sur la question des répétitions dans la prière. L’honnête Rab-Papa y voyait un certain avantage dans le cas où l’on aurait été distrait la première fois.

Autour de ces dires toujours et uniformément traditionnels sont groupés les gloses, annotations, éclaircissemens, qui aident à en comprendre le sens, et qui remontent aux rabbins du XIe et du XIIe siècle. Ces éclaircissemens sont bien nécessaires, du moins pour nous autres profanes, et encore ont-ils souvent besoin d’être éclaircis eux-mêmes par les explications des rabbins plus modernes. Qui croirait à première vue, par exemple, que le fragment cité tout à l’heure nous reporte aux controverses du second siècle entre les écoles rabbiniques et les communautés judœo-chrétiennes ? Voilà pourtant ce qu’on nous affirme. C’est au sein de ces communautés que la bonté divine était exaltée dans les prières au-dessus de toutes les autres perfections d’une manière qui déplaisait à la rigidité légale du rabbinisme. La répétition de la formule : nous reconnaissons., fait sans doute allusion à quelque prière chrétienne du même temps où les deux noms de Dieu et du Christ étaient mentionnés successivement. Toutefois ce dernier point est obscur.

C’est avec cette prolixité, ce tour énigmatique, c’est en se traînant ainsi lentement, lourdement, à travers un fouillis de traditions sans nombre, sur un tas d’arguties dont l’intérêt le plus souvent nous échappe, que le Talmud procède sans jamais se relâcher de son imperturbable gravité. N’y cherchez pas les histoires dramatiques, les préceptes directs et clairs, les poétiques effusions des livres bibliques : le Talmud ne connaît rien de tout cela. Notre scolastique du moyen âge est la variété même à côté de lui. La lecture en est, pour nous du moins, singulièrement fatigante, et il faut