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toute la vénération qu’il inspire aux Juifs de naissance ou la passion des recherches érudites de quelques Allemands pour ne pas fermer le livre avec impatience après qu’on en a feuilleté quelques pages. Cependant, il faut le reconnaître, si le judaïsme se pétrifia dans le Talmud, cette pétrification lui communiqua la dureté du roc. Les jeunes rabbins élevés à pareille école en reçurent l’empreinte indélébile. De cet impitoyable laminoir leur esprit ressortit aplati, mais endurci, avec un tour particulier qui ne leur permettait plus de penser et de sentir comme les autres hommes. Il y eut de brillantes exceptions, mais elles furent rares. La plupart, d’une mémoire prodigieusement exercée, étonnamment subtils, furent peu capables d’idées générales et par conséquent de vues philosophiques. En les écoutant, le peuple juif s’imprégna de la même tendance, et s’habitua à demander au Talmud la solution de toutes les difficultés, des directions pour tous les actes de la vie, de l’heure de la naissance à l’heure de la mort. Le Talmud fut une véritable encyclopédie nationale. On y chercha et on y trouva tout, astronomie, botanique, zoologie, physique, médecine. Rien ne serait plus facile que de tourner cette œuvre en ridicule. Les idées baroques, les préceptes puérils, les superstitions niaises, y abondent. Cependant il n’est pas rare non plus de rencontrer de véritables perles au milieu de ce fatras. Il y a çà et là des sentences pleines d’élévation, d’originalité, respirant un esprit d’humanité et de justice qui réconcilie avec le parlage si souvent oiseux des vieux rabbins. On peut, je crois, noter une certaine partialité filiale chez les Juifs savans de nos jours pour ces archives de leur tradition religieuse. En fait, le Talmud, lu et commenté comme il l’est aujourd’hui à la lumière de notre critique, a fourni d’utiles renseignemens à l’histoire et à l’exégèse biblique ; en particulier, il a clairement révélé le véritable esprit du judaïsme à l’époque où il est le plus intéressant pour nous de le bien connaître ; cette chaîne interminable de dires des vieux rabbins contient plus d’un détail curieux ou instructif, mais elle n’a enrichi la pensée religieuse d’aucune vue nouvelle, d’aucune grande idée. La mine de Golconde qu’on nous vantait s’est trouvée n’être qu’une immense carrière de sable dans laquelle çà et là se rencontrent quelques diamans d’un genre d’ailleurs très connu, et qui n’a plus d’intérêt qu’au point de vue géologique.

Il n’en a pas toujours été de même. Dans les temps d’intolérance, et lorsque, par une aberration prolongée, la chrétienté voulait à chaque instant venger sur le peuple juif le crime impossible du déicide ; lorsque la persécution le chassait tour à tour des pays où il avait cherché un refuge, le Talmud, en faisant revivre pour chaque génération les vénérables docteurs du passé, en continuant