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jusqu’en plein moyen âge la chaîne des souvenirs dont le premier anneau sort du sein de la vieille Chaldée et du fond de l’antiquité mystérieuse, le Talmud inspira à ses adeptes cette fierté aristocratique si puissante pour soutenir les sociétés accablées par la force brutale, cette résignation qu’engendre la pensée de longues souffrances endurées par une série de glorieux ancêtres. Lequel de nos nobles les plus hautains pourrait se comparer en antiquité de race au dernier des enfans d’Israël portant sur son visage les titres indélébiles de sa descendance des patriarches ? Laquelle de nos églises les plus fières de leur ancienneté pourrait rivaliser sous ce rapport avec la synagogue, fille des prophètes, petite-fille du Sinaï ? Son livre, le Talmud, s’était formé, lui aussi, dans un temps de persécution, et ses enseignemens en portent à chaque instant la trace. Il apprit à la vaincre. Ses défauts, ses petitesses, ses ridicules, ne peuvent lui ôter la gloire d’avoir lassé l’oppression des siècles.

Toutefois, à mesure que les maximes de la tolérance, en pénétrant les mœurs et les législations nationales, assurent aux Israélites la liberté de conscience et l’égalité des droits, il est permis de se demander si le Talmud conservera cette espèce de dictature dont il a été revêtu si longtemps. Le Talmud suppose qu’il s’adresse à un peuple dispersé, opprimé, mais à un peuple qui conserve partout sa nationalité distincte. Nous n’avons certes pas à nous en plaindre, mais il est de fait qu’en acceptant le pays qu’il habite pour sa vraie patrie et sa mise sur le pied de la plus complète égalité avec les gentils, l’Israélite abdique non sa religion, bien entendu, mais sa nationalité traditionnelle. C’est le dernier coup porté au principe théocratique pour lequel sa nation a tant souffert.

Du reste, le Talmud ne saurait pas plus échapper que toutes les autres orthodoxies à l’inéluctable loi du progrès. Plus d’un mouvement significatif au sein du judaïsme contemporain prouve que l’on commence à trouver son joug bien pesant et, qui pis est, bien inutile. Le ritualisme absorbant du vieux rabbinisme, quand on le prend au sérieux, ne rend pas moins insociable que le despotisme clérical ou dogmatique revendiqué par d’autres formes religieuses. A chaque instant, il est matériellement impossible de concilier l’obéissance à ses préceptes avec les exigences de la vie contemporaine, et une foule de Juifs éclairés, sans renier pour cela les doctrines essentielles du judaïsme, s’émancipent sans scrupule de ce que ces préceptes ont d’arbitraire et d’impraticable. Bien que dans les pays où les Juifs sont agglomérés, comme en Pologne, en Hollande et dans quelques parties de l’Allemagne, l’autorité de la tradition talmudique soit encore très puissante, surtout au sein des classes inférieures, cette tendance à l’émancipation ne pourra