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japonais ou plutôt ces artistes, car plus que personne ils ont droit à ce titre par le goût exquis qu’ils déploient dans le décor et par la perfection qu’ils apportent à la fabrication. Porcelaine, nacre, écaille, ivoires sculptés, gravés et niellés, sont incrustés dans ces meubles avec une inexplicable habileté. Leurs dessins sont saisissans de vérité et irréprochables d’harmonie. S’il vous tombe entre les mains un de ces livres d’aquarelles qui représentent des fleurs, des animaux, des paysages peints sur soie gris-perle, il ne vous restera plus qu’à vous incliner devant eux : ce sont des maîtres. L’auteur d’un de ces albums si remarquables exposés cette année se nomme Yoktoyo. Le peintre Tengago, dans la principauté de Firzen, s’est fait aussi un nom célèbre dans ce genre. N’oublions pas ces charmans portraits de femmes japonaises, celle-ci jouant de la guitare ou tenant son enfant sur ses genoux, cette autre arrangeant des fleurs et se coiffant avec l’afféterie d’une marquise. Tout cela révèle une étude et un amour profonds de la nature. Que dire de leurs splendides étoffes, de l’éclat incomparable des couleurs, de la beauté des tissus, de ces langoutis du royaume de Siam tressés en fils d’or et de soie et servant d’étole aux mandarins de première classe, enfin de ces papiers plus solides que le parchemin et fabriqués avec l’écorce du daphné papyrifère ? Malgré ce que l’étude du jury a eu peut-être de trop précipité, ces papiers ont valu aux Japonais la grande médaille d’honneur.

On s’étonne du prix très élevé de la plupart de ces choses et entre autres des meubles en laque aventurine. De ce qu’une étagère composée de trois ou quatre planches et haute d’un mètre environ se vend six ou huit mille francs, on en conclut que cette fabrication n’est pas commercialement pratique. Il faut songer que les prix de l’exposition ne sont pas toujours les prix du pays, qu’on profite sans doute un peu de la circonstance et de la rareté de ces meubles pour en augmenter la valeur réelle, enfin qu’il y a bien des qualités possibles en fait de laques. De même que les Anglais ou les Français n’ont pas exposé de simples meubles en noyer, de même les taïcouns ne nous montrent que des pièces hors ligne. On ignore absolument ici le temps, l’art, les soins, qu’exigent de pareils travaux, qui se font non pas pour les chaumières, mais pour les palais, pour les princes et leur cour. Ces prix, qui semblent si élevés aux amateurs, le seraient bien davantage sans le bon marché de la main-d’œuvre et la sobriété des ouvriers japonais. D’ailleurs, pour estimer ce que fabriquent les étrangers, nous partons d’un faux point de vue : nous sommes tellement convaincus de notre supériorité sur ces sauvages qui ne parlent pas français, que les prix de nos meubles, un bahut de 50,000 francs par exemple, ne nous