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imiter personne, et de plus on a su trouver des procédés nouveaux et créer un genre absolument en dehors de la fabrication ordinaire, élargissant avec une extrême hardiesse le rôle des émaux. Il faut n’avoir pas vu toutes ces mosquées couvertes d’émail de la cime à la base pour méconnaître la beauté qu’en tire l’architecture. Si Venise a été le foyer des coloristes, n’oublions pas qu’elle le doit à ces mosaïques orientales qui habituaient ses enfans à remplir leurs yeux de l’éclat des monumens. La décoration en faïence, comme elle a été comprise en Perse, en Asie-Mineure et dans l’Inde, jetterait sur l’ensemble gris et blafard de nos villes la couleur et la gaieté qui leur manquent, donnerait la vie et le pittoresque à l’architecture froide et compassée des cités européennes. A Paris, on tâtonne, on essaie sans savoir au juste ce que l’on veut. Tantôt on exécute des peintures de grand style dont le seul mérite est de faire croire que ce sont de mauvaises peintures à l’huile, car la faïence ne s’y trouve jamais avec ses qualités propres, qui sont l’éclat, la franchise et la simplicité des couleurs-mères ; tantôt ce sont ces têtes de médailles grecques et ces éternels rinceaux italiens, jaunes et bleus, dont l’harmonie douteuse ne produit aucun effet pour la décoration. Dès que le but de la faïence est dépassé et que vous lui demandez ce qu’il lui est impossible de donner, vous seriez Raphaël, que vous n’arriveriez à atteindre ni l’art, ni la couleur, et ne parviendriez à produire qu’un monstre. Laissez à la peinture à l’huile ses effets de trompe-l’œil, de relief et de vie, les glacis, les lointains vaporeux, la lumière des bois, les eaux calmes ou turbulentes, toutes choses incompatibles avec les couleurs limitées qui vont au feu. L’art décoratif ne veut pas de tout cela ; un beau trait, une couleur franche et pure, voilà ce qu’il lui faut. Jusqu’à présent, l’art céramique s’est trop complu dans la reproduction facile des faïences italiennes, françaises et hollandaises de ces derniers siècles. Tout en appréciant la finesse et le goût des ornemens de celles-ci, on doit reconnaître que c’est là cependant l’enfance de cet art. La terre en est mauvaise ainsi que l’émail et s’ébrèche facilement, puis la couleur est absente, car on ne saurait donner ce nom au bleu terne et sans modulation qui décore la plupart d’entre elles. Applaudissons donc à ceux qui sortent de l’ornière, aux procédés nouveaux qu’ils inventent et qui marquent d’un progrès l’histoire de l’art industriel. Espérons surtout qu’en examinant les merveilles de l’art individuel en Orient comme en France les fabricans comprendront que les immenses associations, les puissantes compagnies, qui, sous prétexte de liberté de l’industrie, créent une sorte de féodalité, sont une des causes principales de l’abaissement de l’intelligence et du goût dans les productions dont nous venons de nous occuper. Au lieu de multiplier les