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à discrétion pour une très minime rétribution, rendent d’inappréciables services à la population pauvre de Paris, et lui donnent peu à peu des habitudes de propreté qui finiront par entrer dans ses mœurs. Les blanchisseuses n’étaient pas si commodément installées jadis ; elles venaient simplement laver au cours de l’eau, agenouillées sur un peu de paille ramassée au hasard, souillant leur linge aux fanges de la berge et le voyant parfois disparaître emporté par le courant. Lorsque les rives étaient escarpées, on y appliquait des échelles que les pauvres femmes descendaient et gravissaient chargées de leurs fardeaux humides. En voyant ces sortes d’escaliers primitifs appliqués aux bords de la Seine devant Chaillot, le Parisien de Néel les prend pour les échelles du Levant et raconte en termes fort spirituels comment une lavandière lui fit voir qu’il était encore en France. Nul Parisien n’ignore que la mi-carême est la fête consacrée des blanchisseuses et des porteurs d’eau qui, sous prétexte de s’amuser, se fatiguent ce jour-là comme si leur vie n’était pas une fatigue perpétuelle.

Il est encore sur la Seine une autre industrie sédentaire ; elle est représentée par un bateau qui, seul de son espèce, est resté debout comme une protestation vivante et surannée contre tous les essais de nos temps inventifs. C’est le bateau broyeur qui est amarré près du quai de l’Horloge ; ses quatre roues, lentement agitées par le courant tranquille, tournent pacifiquement et font mouvoir des meules qui écrasent des couleurs. Malgré les nuances criardes dont il a bariolé ses plats-bords et sa cahute, malgré les volubilis et les capucines qui grimpent sur le pignon de son toit, il a un air triste, vieillot et délabré. Il est demeuré fidèle aux us et coutumes d’autrefois ; en présence des machines à vapeur qui bruissent de tous côtés et battent la rivière où il clapote avec une si paisible mansuétude, il ressemble à un coucou qui regarderait passer une locomotive.

En tant que fleuve, la Seine appartient au domaine, qui en retire un profit assez médiocre, car les locations faites sur les berges et sur la rivière à Paris ne rapportent annuellement guère plus de 39,000 francs. Les prix sont uniformes : 3 francs par mètre carré pour les établissemens où il existe une habitation, 1 franc pour les bateaux à lessives, 25 centimes pour les bains froids. Les exploitations inutiles et tapageuses ne sont même pas surchargées, et le café-concert qui a pris possession du terre-plein du Pont-Neuf ne paie annuellement que 1,200 francs de loyer. Les abreuvoirs sont libres ; il y en a huit où l’on peut aller baigner les chevaux et les chiens. Toutes les industries qui vivent de la Seine ou sur la Seine sont réglementées par l’ordonnance de police du 25 octobre 1840, ordonnance qui, empruntant certains élémens constitutifs à celles