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répondre aux exigences qui peuvent se produire. Il est inutile de dire, je crois, que ces boîtes ne sont pas exclusivement consacrées aux noyés, et qu’on y trouve de quoi remédier aux mille accidens qui à toute minute peuvent atteindre une population aussi nombreuse que celle de Paris. Malgré tant de vigilance et de bon vouloir, la rivière voit chaque année se terminer bien des existences. Quand un cadavre est repêché, le commissaire de police le plus voisin de l’endroit où il a été trouvé fait un procès-verbal de la levée du corps, qui à la suite de cette indispensable formalité est renvoyé à la Morgue, dont je dois parler, car ce lieu sinistre est une annexe directe de la Seine.


IV

La Morgue était originairement le second guichet du Grand-Châtelet. On y gardait les nouveaux prisonniers pendant quelques instans, afin que les guichetiers pussent les morguer à leur aise, c’est-à-dire les dévisager attentivement et se graver leurs traits dans la mémoire. Ce fut là ensuite qu’on déposa les cadavres ramassés sur la voie publique ou dans la Seine. Plus tard, en 1804, on construisit sur le quai du Marché-Neuf, à l’angle nord-ouest du pont Saint-Michel, un bâtiment carré spécialement destiné à l’exposition des corps inconnus. L’ouverture des nouveaux boulevards a singulièrement modifié ce quartier, et la Morgue est aujourd’hui reléguée à l’extrémité de la Cité, sur cet îlot depuis longtemps réuni à la terre ferme et qu’on appelait autrefois la Motte-aux-Papelards. La salle d’exposition, garnie d’un vaste vitrage qui permet l’observation la plus attentive, contient douze dalles sur lesquelles les corps sont étendus au-dessous d’un robinet d’eau froide qui les arrose incessamment et retarde la décomposition. A côté sont le greffe, la salle des autopsies, la salle des morts reconnus ou inconnus qui doivent être enterrés, les magasins où des casiers séparés, numérotés, étiquetés, renferment les vêtemens trouvés sur les cadavres ou simplement recueillis dans la Seine, les égouts et les canaux, enfin la salle des gardiens et leur chambre de nuit. Nul cadavre n’est reçu à la Morgue, si les gens qui l’apportent ne sont munis d’un ordre de réception délivré par un commissaire de police ; le procès-verbal de la découverte du corps et le rapport du médecin sont directement envoyés au cabinet du préfet. Une fois admis, le cadavre est déshabillé, lavé et exposé. L’énumération des différentes divisions qui servent de titres au livre du greffe fera comprendre immédiatement avec quel soin méticuleux et intelligent cette lugubre comptabilité est tenue. Numéro d’ordre, — date d’entrée, — heure d’arrivée. — Noms, — sexe, — âge. — Signalement d’identité :