Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voilà les conditions les plus rigoureuses de la sculpture. Telles sont les règles dont eue ne saurait s’écarter sans dépasser ses frontières ou manquer à sa fonction. Quelque dignes de mémoire que puissent être, en dehors de ces principes, l’habileté et les œuvres d’un Ghiberti, d’un Jean de Bologne, parfois même d’un Bernin, quelques efforts que l’on ait plus récemment tentés pour attribuer à l’ébauchoir les mêmes privilèges, et les mêmes vertus qu’au pinceau, le tout ne prévaudra point contre des faits bien autrement persuasifs, parce qu’ils correspondent à la nature même des choses et aux éternelles exigences du bon sens.

La sculpture a son objet et ses ressources propres, sa signification à la fois positive et abstraite, son empire très indépendant de l’influence qu’il appartient à la peinture d’exercer. Bien qu’à certains égards une statue se rapproche de la réalité plus qu’une figure peinte, puisqu’elle représente la forme humaine sous ses trois dimensions, elle emprunte de son apparence monochrome, de ses yeux sans regard, du sol restreint qui la supporte, une sorte de vie surnaturelle dont on aurait aussi mauvaise grâce à regretter l’insuffisance qu’à méconnaître la poésie, Laissons donc à chaque art son génie et ses procédés. Ne demandons à la sculpture ni de rivaliser avec la peinture, ni de nous émouvoir par la violence, par le caractère dramatique de l’expression. Le meilleur de son éloquence est dans sa modération même. Enfin à ceux qui seraient tentés d’élargir un peu trop le cercle où il lui est permis d’agir, à ceux qui, au lieu de l’imitation choisie, songeraient à faire d’une certaine indulgence pour le laid un des élémens de la sculpture, il faudrait répondre avec l’auteur de la Grammaire des arts du dessin : « Dans la vie comme dans la peinture, la laideur peut devenir supportable,- si elle est corrigée par la mobilité de la parole ou par le prestige de la couleur, si elle est rachetée par une expression fugitive, transfigurée par l’âme ; mais dans la sculpture, fatalement enchaînée à la matière pesante, la laideur immobile, muette, épaisse et pétrifiée, la laideur cubique, est une monstruosité d’autant plus offensante que, taillée en marbre ou coulée en bronze, elle usurpe une immortalité dont la beauté seule est digne. »


II. — PEINTURE ET GRAVURE.

Si l’on demandait pourquoi la reproduction des objets par le pinceau ou par le crayon peut être plus intéressante que la réalité et, même abstraction faite du coloris, plus vraisemblable que l’effigie mécanique, il suffirait de rappeler la part qui revient dans cette imitation au sentiment et au calcul. Quand Pascal définissait la peinture une « vanité attirant l’admiration par la ressemblance de